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Chapitre 22 : A la poursuite de Jack

  • Photo du rédacteur: lorkhanponey
    lorkhanponey
  • 8 oct. 2017
  • 18 min de lecture

Je pouvais voir une lumière blanche dans le lointain. Elle semblait m’appeler, m’incitant à la rejoindre. Et même si je savais que c’était la meilleure chose à faire, j’en étais simplement incapable. Il était là, juste en face de moi. L’homme que je croyais être un héros, celui que j’aurais suivi au-delà des flammes de l’enfer. Son épée en main, il se tenait prêt. Moi, je tenais mon ventre douloureux. Je saignais. Mon arme par terre était trop loin pour que je la récupère. Pourtant, sans elle, je ne pourrais jamais gagner ce combat. Et même avec, comment pouvais-je espérer vaincre qui que ce soit ? Encore moins lui. Et même si j’en étais capable, est-ce que ce serait une bonne chose ? Je serais un tueur… Et lui serait mort…

Dans un sursaut, je me réveillais dans ce qui ressemblait à une chambre. Assis sur la gauche du lit se trouvaient Cro, Leonae et Sam’ell. De l’autre côté, une femme que je ne connaissais pas. Son regard était à la fois chaleureux et effrayant. Une combinaison qu’elle-même ne semblait pas contrôler, comme si elle ignorait comment réagir à mon existence. Je remarquai à peine la lumière partant de sa main pour aller vers moi Lumière qui d’ailleurs commençai à s’estomper comme si elle avait accomplie son oeuvre. À ce stade, je n’étais toujours pas un expert en magie, mais je dirais qu’elle était en train de me soigner. Me voyant réveillé, Cro réagit le premier mais fut immédiatement coupé par la femme à ma droite : «Il semblerait que je ne puisse retirer le démon à l’intérieur de ton corps sans te tuer au passage. Et tes amis m’ont convaincu que tu avais plus de valeur vivant que mort. J’espère pour toi que tu me prouveras qu’ils ont raison. En attendant, la traque de Jack a commencé et je compte sur toi pour m’aider à le trouver.»

Je n’avais aucune intention d’aider qui que ce soit à trouver Jack, mais de nouveau son regard pénétra profondément dans le mien. Je pouvais voir sa détermination. Clairement, si me tuer lui permettait d’accomplir sa quête, elle le ferait sans hésiter. Je venais tout juste de remarquer l’insigne des Anciens brodé sur son uniforme. Je commençais à peine à comprendre l’identité de cette personne quand un de ses soldats entra dans la pièce pour lui parler : «Générale Seth, la magicienne n’a toujours pas retrouvé l’usage de ses pouvoirs. Il semblerait que quelque chose l’empêche de retirer le collier.

  • Vous voulez dire quelque chose d’autre que le collier en lui-même ? intervint Leonae.

  • Il semblerait qu’elle-même ne veuille pas réellement l’enlever, comme si elle jugeait ce collier comme étant une punition méritée, répondit le garde.

  • Une magicienne qui accepte d’elle-même que sa connexion à la magie soit bloquée ? s’étonna Seth, qu’il en soit ainsi. Elle aurait pu nous être utile, mais tant pis. Nous partirons sans elle.»

Sur ces mots, elle sortit de la pièce d’un pas décidé.

Toujours couché dans mon lit, je sentais mon corps trop faible pour me lever. Je ne pouvais guère que tourner la tête vers mes amis. Cro était assis, mais lorsque Seth sortit de la pièce, il se leva d’un coup. Il semblait énervé, mais par quoi exactement ? Sam’ell intervint avant que je ne puisse ouvrir la bouche : «Il est inutile de s’énerver, rien ne changera ce qui s’est passé. Jack a bel et bien libéré le dragon alors que les anciens lui en avaient confié la garde. Et les anciens n’oublient jamais ceux qui les ont trahis.

  • Il a passé les deux cents dernières années à essayer de se racheter, déclara faiblement Leonae, et pourtant personne ne semble enclin à lui pardonner son erreur.

  • Peut-être parce qu’il continue d’en faire ? Intervint Cro, je ne veux pas paraître cruel. Mais est-ce qu’il a bel et bien laissé le fils d’Orion partir en paix ? Si c’est le cas, il a mis en danger la vie de Malie, et ça, j’ignore si je peux l’accepter. Peu importe à quel point c’est un mec sympa, la vie de Malie est plus précieuse que n’importe quoi d’autre.

  • Tu n’as pas à t’en vouloir, fut la réponse de Sam’ell.

  • De quoi parles-tu ? s’interrogea le chasseur.

  • Tu ignorais quel trésor tu abandonnais derrière toi. Le vol du dernier vœu des Éptihy n’est pas de ton fait.

  • Vraiment ? Pourtant j’aurais dû être présent ! Qui est-ce que je crois tromper ? Jack n’a pas failli à sa mission, il n’avait aucune mission à remplir. Moi par contre, moi j’avais un objectif, un rôle à jouer dans la Grande Toile du Destin et j’ai échoué.»

Soudainement, Sam’ell se précipita sur Cro, le plaquant violemment contre le mur. Le chasseur surpris, ne sut exactement comment réagir. Il choisit de se laisser faire, sachant qu’il ne pourrait probablement rien faire si l’homme venait à s’en prendre à lui. Le dernier Farghot attendit quelques instants, semblant rassembler ses pensées. Puis il prit une profonde inspiration et relâcha sa cible avant de déclarer : «J’ai vécu plus longtemps que vous tous ensemble. J’ai commis plus d’erreurs que quiconque ne pourrait en compter. Et j’ai appris une chose avec une certitude inébranlable. C’est que tant qu’il reste ne serait-ce qu’un souffle dans tes poumons comprimés par ta lâcheté, ne serait-ce qu’un battement de ton cœur brisé par tes nombreuses défaites et ne serait-ce qu’une goutte de sang dans tes veines déchirées… Et même alors que tu devrais être mort depuis longtemps, tu peux toujours réparer tes erreurs. Sauf si tu abandonnes. Ça, Jack l’a compris. Et c’est ce qu’il essaie de faire à l’heure même où on parle. Mais j’ai peur qu’il se prépare à commettre une nouvelle erreur, une dont le prix est plus cher que ce que quiconque devrait avoir à payer. Nous devons venir à son aide, pas parce qu’il nous l’a demandé, car il est clair qu’il nous a rejetés, mais parce qu’il a en besoin. » La porte s’ouvrit, dévoilant Dragonlips. Il fit un pas hésitant dans la salle, son corps couvert de bandages. Il déclara : «Puis-je me joindre à vous ?»

Dans une autre salle du château, Seth discutait avec les trois prêtres qui étaient venus arrêter Jack : leur discussion porte sur la stratégie à adopter pour arrêter définitivement le baroudeur. Ils savent ne pas pouvoir le tuer, ce qui veut dire qu’ils peuvent lâcher toute leur puissance sur lui et quand même le faire passer devant un tribunal. Ils étaient en train de discuter de plusieurs moyens. Peut-être le brûler, ou l’électrocuter, les moyens ne manquaient pas, surtout maintenant que la générale était présente. Quelqu’un entra dans la pièce, c’était de nouveau un soldat des Anciens. Seth l’interpella immédiatement : «Serebeorth, j’espère que vous m’apportez de bonnes nouvelles ?

  • Conformément à votre requête, j’ai interrogé moi-même le dénomme Hobna Foot. Il a répondu à toutes mes questions concernant le fils d’Orion. Pourtant il semble dissimuler encore d’autres secrets. Avec plus de temps, je pourrais sans nul doute obtenir de lui encore plus d’informations précieuses.

  • Voilà une idée intéressante, et c’est précisément ce que vous allez faire lorsque vous aurez achevé la mission que je m’apprête à vous confier. Je veux que vous sélectionniez les meilleurs soldats disponibles dans notre armée, je veux que vous fassiez le choix selon votre opinion, pas selon elle de Carmand. Lorsque ce sera fait, faites-les venir à moi.»

Pour cette dernière instruction, elle lui jeta une petite pierre comportant d’étranges inscriptions, vraisemblablement un appareil servant à la téléportation. L’entraîneur le plus performant des Anciens, Serebeorth, baissa la tête pour acquiescer et repartit.

Il me fallut quelque temps, mais bientôt je fus enfin capable de me lever. J’ignore encore ce qui m’était arrivé, mais quand on a un démon à l’intérieur de son corps, on a tendance à lui reprocher le moindre rhume. Toujours est-il que je ressentais le besoin de prendre l’air. C’est en me retrouvant sur les remparts que j’aperçus Le. Elle était assise un peu plus loin, tenant dans sa main un étrange objet. M’approchant, j’identifiais ce qu’elle tenait comme étant une graine. Voyant qu’elle ne voulait pas nécessairement parler, je m’assis à côté d’elle, respectant son espace vital. Le silence demeura, je jugeais plus prudent de la laisser commencer la conversation. Ce qu’elle fit ainsi : «Tu es un homme étrange, Lorkhan Poney.

  • J’aime à le penser, mais de quelle manière exactement ?

  • Au milieu de guerriers de légendes, de monstres, de démons et même de dieux, au milieu de tous ces êtres prodigieux, il y a toi. Toi qui n’as aucun pouvoir particulier. Toi qui ne sais pas te battre. Toi qui , parmi tous, as le moins de raisons d’être avec nous. Je ne peux m’empêcher de m’interroger, pourquoi es-tu avec nous ?

  • La même raison que toi, j’imagine.

  • C’est très peu probable. D’autant que moi-même, j’ignore pourquoi je suis ici. Et je dois avouer que maintenant que j’ai perdu mon accès à la magie, je me demande ce que moi-même je fais encore dans ce groupe.

  • Un grand homme a dit un jour: «Soit nous courons pour fuir quelque chose, soit nous courons pour atteindre quelque chose.» Moi je fuis, et toi ?»

Elle me lança un regard étonné, mais ne voulut pas répondre à ma question. Au lieu de ça, elle se remit à observer sa graine. Voyant sa réaction, je plongeais mon regard dans les nuages, hésitant. Si je voulais continuer, j’allais devoir dévoiler un de mes plus gros secrets. Un que moi-même j’avais du mal à accepter. «La raison pour laquelle je suis resté avec vous, malgré le danger…» Les mots sortaient difficilement, elle m’observa silencieuse. Intéressée par ce que j’avais à dire, elle tendit l’oreille, attendant la suite de ma phrase sans pour autant me pousser à la donner. «La raison, c’est que tant que je suis avec vous, je n’ai pas à rentrer chez moi. Parce que j’en ai aucune envie.» Elle se mit à sourire, chaleureusement. «Je ne peux que comprendre ce que tu ressens, j’ai moi aussi fui mon foyer lorsque j’étais enfant.

  • Je doute que tu l’aies fait dans les mêmes circonstances.

  • Mon père était bon avec moi, tout comme ma mère. Ma vie était comme d’aucuns pourraient en rêver, mais je voulais plus. Je voulais découvrir les merveilles des autres mondes. Je voulais apprendre la magie, devenir puissante et un jour accomplir mon rêve…

  • Quel rêve ?

  • À l’époque, je l’ignorais…

  • Et maintenant ?»

Elle ouvrit sa main, dévoilant pleinement la graine qu’elle tenait. «Je veux trouver un endroit où planter cette graine.»

J’entendis un claquement de métal dans la cour, comme deux épées s’entrechoquant. Je me précipitais pour voir ce qu’il était en train de se passer. Dragonlips, épée à la main se battait avec Seth. De là où je me tenais, le combat était clairement inégal. La générale des Anciens esquivait les attaques les unes après les autres, sans réellement bouger. Il lui suffisait de dévier le coup. Elle savait son adversaire blessé, si bien qu’elle ne se fatiguait même pas. Lorsqu’elle en eut assez, elle le désarma d’un coup avant de rengainer sa propre épée et de déclarer : « Il suffit, nous ne sommes pas venus ici pour tuer qui que ce soit. Néanmoins, nous allons effectivement récupérer le dieu Zapar dans l’éventualité où il va ressusciter, ainsi que le jeune Lorkhan qui nous aidera à retrouver Jack.

  • Il faudra me passer sur le corps, s’écria Dragonlips.»

Il semblait clair que Seth commençait à être irritée par le comportement du guerrier qui se tenait en face d’elle. Je pense qu’elle songeait sincèrement à le tuer. Mais elle savait ce qu’il venait de perdre, même si les corps avaient été brûlés la veille (après que je suis tombé dans les pommes). M’apercevant, elle déclara solennellement : « Nous ne sommes pas les méchants ici. D’ailleurs, nous sommes tous dans le même clan. Si vous nous aidez à retrouver Jack, nous vous aiderons à retrouver Malie. Mes soldats ont justement capturé un certain Hobna Foot qui travaille pour le fils d’Orion.» À l’évocation de ce nom, mes oreilles se dressèrent. Le réagit également, m’incitant à me taire d’un doigt sur sa bouche. J’imagine que c’était une mauvaise idée de parler du dernier vœu des Epithy, lequel avait apparemment été volé par cet Hobna Foot dont il était maintenant question. D’instinct, je m’écriai : «Attends, Dragonlips, je veux bien les aider !» Ne sachant pas ce qui motivait cette décision, mon intervention laissa le guerrier dans un semi état de choc.

Presque excité, essayant néanmoins de le cacher, je trottinais pour descendre les escaliers et rejoindre la cour. Je me plaçais directement en face de Dragonlips pour le regarder dans les yeux avant de lui dire, non pas un mensonge mais plutôt une déformation de la vérité : «De toute façon, il faut qu’on retrouve Jack pour qu’il réponde de ses crimes. Qui plus est, si j’ai bien compris ce concept de dieu, Zapar ne pourra pas ressusciter sans la présence de Jack. Donc, ils ont besoin de moi pour retrouver Jack et une fois trouvé, le corps de Zapar pour le ramener. C’est très logique.» J’insiste, je n’ai pas menti. Jack devait effectivement être retrouvé même si pour moi il n’avait pas à répondre de quelque crime que ce soit. Et pour le truc de Zapar, je n’avais pas la moindre idée de si le baroudeur était requis ou non, mais la théorie que je venais d’exposer me paraissait tout à fait crédible. Seth jeta un œil à Dragonlips, voyant qu’il hésitait toujours malgré mon intervention, elle déclara : «Si la protection du garçon vous importe tant, vous pouvez nous accompagner pour y veiller personnellement. Même si je doute que quoi que ce soit puisse lui arriver à mes côtés.

  • Dans ce cas, il faut que Le et Leonae puissent également venir, répondit Dragonlips.

  • Oh, et Cro le chasseur. Et Sam’ell aussi ! ajoutais-je.

  • Et pour ne pas la laisser seul, nous devrions aussi emmener Orsel, termina le guerrier.»

La générale des Anciens parut réfléchir. Elle n’était pas près d’accepter toutes nos conditions, mais elle pouvait parvenir à un compromis. Elle énonça sa première et dernière offre ainsi : « Choisissez deux de vos compagnons pour nous accompagner, les autres devront rester ici. Lorsque votre groupe sera au complet, rejoignez-moi à l’entrée du château. Vous avez dix minutes.»

Très vite, nous nous rassemblâmes tous dans la salle de réunion du château. Du moins, j’imaginais que telle était sa fonction, dans la mesure où elle contenait une table ronde digne de Camelot. Dragonlips exposa les conditions de Seth, et je révélai à tout le monde le fait que les Anciens avaient capturé Hobna Foot, celui qui avait volé le dernier vœu des Éptihy. Cro intervint aussitôt : «Si c’est vrai, et si on peut le retrouver, il faut que j’y aille. C’est peut-être la dernière chance que j’ai d’accomplir mon devoir.

  • Pour cette même raison, je dois y aller également, déclara Sam’ell. Il y a fort longtemps, mon peuple a promis de protéger l’artefact le plus précieux de leurs amis, les Epithy. Comme Cro, mon honneur m’impose d’accomplir cette tâche au nom de ceux qui sont morts sans y parvenir.

  • De l’honneur ? S’exclama Leonae, vous parlez d’accompagner les anciens pour traquer l’un des nôtres. Quel honneur y a-t-il là-dedans ?»

Cette intervention aussi soudaine que pertinente remis en perspective la discussion. Ce que je ne compris absolument pas. L’idée n’était pas de capturer Jack d’un côté pour ensuite atteindre Hobna Foot de l’autre. L’idée était simplement de se retrouver dans la prison des Anciens. Je leur exposais mon plan avec un maximum de détails, tous semblaient étonnés que j’ai développé quelque chose d’aussi complet en si peu de temps. Dragonlips fut le premier à me répondre : «Tu veux faire évader et Jack et Hobna Foot, mais qu’est-ce qui te fait dire que tu pourras y arriver ?

  • Vous n’avez clairement jamais rencontré mon mentor. La première chose qu’il m’a apprise en matière de magie, c’est comment ouvrir n’importe quelle serrure. Il prétendait que la base, ce n’était pas les cartes mais l’évasion.

  • Attends, tu peux faire de la magie ? Depuis quand ? interrogea Le.

  • Non, pas de la magie au sens où vous l’entendez. Moi, c’est pour de faux, c’est de la prestidigitation. C’est pour amuser les gens.

  • Quel est l’intérêt ? continua la magicienne.

  • Euh… C’est amusant ? Et des fois, ça a une application pratique comme quand on veut s’évader d’une prison. Ou faire évader quelqu’un d’autre, répondis-je avec un sourire.

  • Pourras-tu me montrer comment faire ? demanda Le.»

Surpris que quelqu’un qui connaissait la vraie magie s’intéresse à quelque chose d’aussi… faux, j’acquiesçai d’un signe de la tête.

«Alors c’est entendu ? Je partirai avec Lorkhan, Cro et Sam’ell pour capturer Jack. Une fois que ce sera fait, nous pourrons entrer dans la prison des Anciens et préparer une évasion pour notre baroudeur de même que pour le voleur, résuma Dragonlips.» Il semblait que tout le monde était d’accord, et nous nous apprêtions à partir lorsque Leonae intervint : «J’irai à ta place, Dragonlips.

  • Je comprends pourquoi tu veux y aller, mais il faut que je sois présent pour protéger le petit.»

L’archère jeta un regard dans ma direction, ou du moins elle tourna la tête vers l’endroit où je me trouvais, avant de déclarer d’un air solennel : « Je peux entendre ton rythme cardiaque, Dragonlips, et je suis désolé de te le dire, mais je comprends à peine comment tu peux tenir debout. Il est impossible que tu puisses te battre. Qui plus est, je pense que tu as encore d’autres choses à faire ici.» Elle n’avait pas besoin de préciser de quoi elle parlait, tout le monde le savait. Le guerrier avait perdu toute son armée. C’était compréhensible qu’il cherche à s’occuper pour penser à autre chose, mais il valait probablement mieux qu’il fasse son deuil avant. Et surtout, il fallait qu’il soigne ses blessures. Ce n’était pas le seul d’ailleurs, Orsel toujours assise dans un coin de la salle, souffrait encore des blessures qu’elle avait reçues. Mais ça n’expliquait pas qu’elle n’ait pas participé à la conversation. Il y avait vraisemblablement autre chose. D’un coup, je la vis prendre sa forme d’homme alors qu’elle observait un bout de papier plié sur lequel je pouvais apercevoir le symbole des Anciens. Je me souvins vaguement l’avoir vu discuter avec Seth dans un coin de la cour, mais j’étais trop loin et trop préoccupé pour savoir de quoi il s’agissait. Une chose était sûre, il semblait furieux en y songeant.

Notre groupe de quatre ainsi formé, nous rejoignions les Anciens à l’entrée du château comme convenu. La générale était accompagnée des trois prêtres qui avaient échoué à capturer Jack la première fois. Bon, en soi ils avaient échoué à cause de moi, mais je n’allais pas leur faire remarquer ce point. J’ignore où se trouvait le corps de Zapar, mais en tout cas il n’était plus au château. Seth fit un signe de tête entendu dans ma direction, et je savais ce que je devais faire. Je me concentrais, ne sachant pas réellement comment opérer pour discuter directement avec le démon qui m’habitait. Rien ne semblait se passer, alors j’ouvris les yeux. C’est là que je le vis. Zelim se tenait devant moi, assis sur un trône. Nous étions dans une étrange salle, ce qui était une première. D’habitude il apparaissait à l’endroit où je me trouvais, mais là il m’avait fait venir chez lui. Il souriait, comme à son habitude, attendant que je parle. Rassemblant mon courage, je tentais de formuler ma requête avant d’être soudain coupé : «Tu as déjà réalisé un vœu pour trouver Sam’ell, des six que tu avais il ne t’en reste que cinq. Lorsque tu auras fait chaque vœu, ton corps m’appartiendra.

  • Je n’ai pas oublié les règles.

  • Et pourtant, tu as une question. Alors vas-y, pose-la.»

À ce stade, je ne devrais plus être étonné qu’il connaisse mes moindres pensées. Mais l’idée de ne rien pouvoir garder secret de ce démon était plus difficile à avaler que sa présence dans mon corps. Toujours est-il qu’il avait raison, une question me démangeait depuis que je m’étais réveillé plus tôt : «Pourquoi es-tu intervenu pour sauver Jack?

  • Sois plus précis, n’hésite pas, ça ne comptera pas comme un vœu, je te le promets.

  • Pourquoi est-ce que tu ne l’as pas compté comme un vœu ?

  • Voilà enfin une question intéressante, et la réponse l’est encore plus. Je ne t’ai pas décompté de vœu, parce que tu ne m’as rien demandé.

  • Pourtant, je voulais plus que tout aider Jack.

  • Tu devrais le savoir maintenant. Tu peux te mentir à toi-même, mais pas à moi. Tu n’avais pas envie de sauver Jack, tu hésitais. Au plus profond de ton esprit, une part de toi se demandait s’il ne méritait pas réellement d’être jugé. Cette hésitation était suffisante pour que tu le laisses se faire capturer. Mais j’ai décidé d’être gentil, je l’ai laissé s’enfuir pour te laisser un peu plus de temps pour réfléchir. Maintenant, tu dois décider s’il doit être jugé ou non. Et si tu pouvais faire vite, c’est que j’ai fait un pari, moi. Et pour ce qui est de ton vœu, je le connais et, toi, tu connais la formule.

  • Très bien, Zelim, gardien de la connaissance, je souhaite que tu exauces mon deuxième vœu.»

Il se mit à sourire, puis à ricaner et soudainement je me retrouvais à côté de Jack.

Il était dans un lieu public. Je pouvais voir beaucoup de gens autour de lui, beaucoup de conversations sur des sujets complètement différents les uns des autres. Il fallut quelques instants à mes yeux pour s’habituer à l’étrange lumière, mais en prenant du recul, je compris bien vite que j’étais dans une auberge. À l’autre bout de la salle, des gens se mirent à danser sur les tables, entraînant bien vite le reste des clients. Tous riaient à tout va, leur chopine dans la main. Entre deux gorgées, ils chantaient une comptine parlant d’un jeune elfe épousant une naine. Tout le monde semblait heureux, sauf Jack. Il se tenait assis seul, à une table, plusieurs chopes déjà vide devant lui. Il contemplait le fond de sa dernière, déjà à moitié vide. Je m’assis en face de lui, mais bien sûr il ne pouvait pas me voir. La première chose que je remarquais, c’est la larme unique qui coulait sur sa joue. Elle continua son chemin, imperturbable jusqu’à finalement tomber dans son breuvage. Lui, continuait à regarder à l’intérieur de son verre. Dans le reste de l’auberge, ça s’agitait de plus en plus. Les clients avaient d’un tacite accord décidé de réveiller toute la ville. Il semblait presque que le baroudeur était dans un autre monde, infecté par l’ambiance qui régnait. L’un des fêtards s’approcha. A sa démarche titubante, il semblait avoir déjà bu une certaine quantité de larmes de fées. Il approcha son visage beaucoup trop près de celui de Jack et déclara d’une voix joviale : «Eh beh, qu’est-ce qu’il fait, le môsieur, tout seul dans son petit coin-coin ? Faut venir chanter, l’ami !» D’un geste fluide, Jack saisit l’inconnu à la nuque et lui fracassa le visage contre sa table. Celle-ci éclata dans un bruit de bois brisé. Aussitôt, les chants s’arrêtèrent. Tous les clients dirigèrent leur regard vers le baroudeur. Lequel contemplait toujours son verre maintenant renversé sur le sol. Le tavernier, sachant très bien ce qui allait se passer, essayait de dissimuler ses bouteilles les plus chères. Le plus bourré de la salle déclara fièrement : «Tous sur lui !» avant de s’effondrer. Une bataille générale éclata, Jack contre le reste du Monde. Normalement, il aurait dû gagner sans problème. Mais l’alcool avait fait son effet, et il se battait comme un ivrogne, c’est-à-dire pas très bien. Il avait toujours sa force et sa rapidité, mais ses réflexes et sa vision étaient grandement diminués. À chaque coup qu’il recevait, il devenait plus faible. Bien vite, ce fut insupportable à voir. Je sortis de l’auberge pour repérer son nom, puis je cherchais un panneau indiquant la ville et si possible le Monde et le Plan où je me trouvais. Il y en avait un qui indiquait tout ça, même si son apparence me permit de comprendre que c’était Zelim qui l’avait implanté là. Cette information récupérée, je fermais les yeux.

En les ouvrant, j’étais de nouveau devant le château de Dragonlips. Seth et les autres attendaient que je leur donne l’information. À peine avais-je parlé, la générale se servit de ce qui ressemblait à une griffe de démon pour ouvrir un portail. De l’autre côté, nous étions dans la ville que le démon m’avait montrée. Je dirigeai le groupe vers la taverne que j’avais vue. Arrivé à quelques dizaines de mètres, il apparaissait clair que l’auberge dans laquelle nous devions aller était celle qui avait encore quelques ivrognes assommés, allongés dans la boue sur la devanture. Il fut décidé que j’allais rester en arrière avec Sam’ell. Les autres avancèrent vers l’auberge, prudents. Il n’y avait absolument aucun bruit. Le silence était plus qu’inquiétant, une taverne de ce genre émettait toujours nombre de bruits divers et variés. Là, rien ne se faisait entendre. Leonae tendit l’oreille, elle percevait quelque chose. De faibles respirations, lentes, calmes. Quelqu’un semblait ronfler. À cinq mètres, elle percevait plusieurs ronflements, et au milieu, des frottements. Cro décida d’entrer le premier, les Anciens semblaient avoir déjà compris que leur cible n’était plus là. Deux d’entre eux commençaient à regarder aux alentours, tandis que Seph et le troisième suivaient le chasseur. L’intérieur de l’auberge semblait avoir été le théâtre d’un ouragan. Tables détruites, fenêtres brisées, chaises fracassées. Au milieu de tout ça, le tavernier essuyait machinalement son comptoir avec un chiffon usé. À l’approche du groupe, il leva la tête pour évaluer l’éventuelle menace. Satisfait de ses conclusions, il retourna à sa tâche en attendant que ses nouveaux clients décident de lui adresser la parole. Quelques-uns des bagarreurs de ma vision étaient toujours là, évanouis à divers endroits de la taverne, mais la plupart étaient partis. Y compris Jack. Seph se dirigea vers le tavernier d’un pas décidé : «Savez-vous où se trouve l’individu qui a déclenché cette bagarre ?

  • Qui le demande ? répondit le barman d’un ton désinvolte.»

Le prêtre des Anciens qui était resté avec la générale s’exclama aussitôt : «Vous vous tenez devant Seph, générale des armées des Anciens. Faites preuve de respect, tavernier.

  • Tout va bien, soldat, déclara Seph »

Puis elle se tourna vers son interlocuteur et lui lança une bourse remplie de pièces d’or, avant de continuer : «Ceci devrait vous aider à remettre de l’ordre dans votre auberge. En attendant, permettez-nous d’arrêter l’individu responsable de ce désastre.

  • Oh, bien le merci Madame la générale. Les gars ont jeté l’ivrogne qui a lancé la bagarre dans la benne à ordure derrière la boutique. Vu la quantité qu’il a bue hier, et les coups qu’il a pris, il doit toujours y être.»

Je vis le groupe sortir du bâtiment pour se diriger vers l’arrière. Là, ils tombèrent effectivement sur Jack, recroquevillé dans une benne. Apparemment, son pouvoir n’agissait que lorsqu’il était sur le point de mourir. Si bien que rien ne l’avait guéri de sa consommation d’alcool et des coups qu’ils avaient reçus de la part des autres clients. Lorsque Leonae prononça son nom, choquée par ce qu’elle voyait, il sursauta et tomba sur le sol à plat ventre. De là, il lui fallut quelques instants pour se remettre, et comprendre ce qui se passait. Il puait diverses odeurs, aucune agréable. Une pelure de banane se trouvait collée à son visage par un liquide difficile à identifier. Des petits os, probablement de poulet, étaient emmêlés dans ses cheveux. Ce combattant de prestige était devenu pitoyable. L’archère s’avança Pour la première fois de sa vie, elle était réellement heureuse d’être aveugle. Si elle avait pu voir à quoi correspondait cette odeur, elle aurait probablement été déchirée. Elle fit un pas de trop et Jack, la vision perturbée par l’alcool, décocha un crochet du droit que Leonae reçut en plein visage. D’ordinaire, elle aurait facilement esquivé, mais l’odeur et ce qu’elle impliquait l’en avait empêché. Elle tomba à terre. Elle avait à peine senti l’impact du poing, mais n’en revenait pas de l’avoir reçu de son mentor. Seph prit les devants, elle s’approcha à son tour, et lorsque le baroudeur fit mine de se défendre, elle lui saisit le bras pour lui passer des menottes. En quelques secondes à peine, des chaînes l’empêchaient de bouger. Les deux cents années de fuite de Jack venaient de s’achever. Comme pour marquer la fin d’une ère, la pluie s’abattit sur nos corps immobiles.


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