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Chapitre 14 : La piste d'orion

  • Photo du rédacteur: lorkhanponey
    lorkhanponey
  • 12 août 2017
  • 21 min de lecture

Je dois avouer que quand j'ai entendu son récit la première fois (cf chapitre 1), je suis resté perplexe pendant quelques instants. C’est le concept de dieu qui m’échappait. Parce que chez moi, chez nous, c’est pas du tout pareil. Certes, il y a plusieurs religions avec des idées parfois très peu semblables sur la question, mais rien qui ne s’approche de ça. Mais le point sur lequel j’avais le plus de mal, c’était celui-là : « ça veut dire que t’es un dieu ?

  • C’est ce qu’il semblerait en effet. Mais je préfère qu’on continue à m’appeler prêtre. »

Zelbe semblait encore plus inquiète qu’auparavant maintenant qu’elle savait qui était Orion. A ce stade, j’ignorais qui était Malie, mais au vu de la réaction initiale de Zapar lorsqu’il a appris sa disparition, j’ai compris que c’était quelqu’un d’important. Mais je n’aurais jamais pu deviner à quel point. La démone commença à éclairer ma lanterne trop rapidement : « Si cet Orion a un fils, ou même si ce chevalier blanc n’est qu’un fervent suivant qui veut accomplir l’objectif de son dieu, il pourrait se servir de Malie pour y arriver.

  • Non, répondit aussitôt Zapar comme si c’était une suggestion, ça ne doit pas arriver. Si la Prophétie vient à se réaliser, toute vie s’arrêtera.

  • Qui est cette Malie dont vous parlez comme si elle pouvait mettre un terme à la guerre à elle seule ? demanda Le.

  • C’est une Epithy, répondit Cro, elle est encore jeune mais quand elle aura grandi, son vœu pourra être utilisé pour faire absolument n’importe quoi.

  • Pourquoi ne pas l’avoir tuée lorsque vous l’avez rencontrée ? Vous auriez supprimé tout risque de réalisation de la Prophétie, continua Le.

  • Si vous voulez la tuer, il faudra me passer sur le corps ! Hurla Zelbe, explosant soudainement de rage.

  • Ce ne sera pas nécessaire, dit Jack pour calmer le jeu. Zapar, vous m’avez accueilli dans votre maison alors que j’étais dans un très mauvais état, et pour ça vous avez gagné ma sympathie. Si vous souhaitez retrouver et sauver cette jeune Epithy, permettez-moi de vous accompagner pour me battre à vos côtés, sans jamais questionner vos motivations. »

Le prêtre semblait hésiter, ne sachant s’il devait accepter l’aide d’un étranger pour une mission aussi délicate. Leonae s’avança dans le groupe pour être enfin remarquée par Jack qui, jusque-là, ne l’avait pas vu. Mais avant toute chose, elle s’adressa à Zapar : « J’ai eu l’opportunité de combattre de nombreuses fois auprès de ce baroudeur, croyez-moi, son aide vous sera précieuse. Qui plus est, si vous acceptez son épée, je souhaite vous prêter également mon arc. Je cherchais justement une cause juste à défendre, et je crois que je l’ai trouvée.» J’avais l’impression d’être dans la fameuse scène du Seigneur des Anneaux où tous les guerriers venant d’un peu partout se rassemblent autour d’une cause commune. Cro s’y mit aussi, déclarant qu’il avait une dette éternelle envers le prêtre et que d’une certaine manière il avait lui aussi promis de protéger Malie. Orsel n’eut pas besoin de s’exprimer, il était clair qu’elle avait fermement l’intention de rester au côté de Zapar. Les derniers à s’exprimer furent Dragonlips et Le. Tous deux affirmèrent vouloir remercier le prêtre de leur avoir sauvé la vie. C’est comme ça que s’est formée la Communauté de l’Eptihy, et bien sûr il fallait que je participe. « Et que peux-tu donc m’apporter jeune homme ? ». La question de Zapar était plus que légitime. A côté de tous ces guerriers, je ne valais pas grand-chose. Même à côté d’un paysan, je ne vaux pas grand-chose de toute façon. Je pensais que peut-être Jack appuierait ma proposition puisque c’était un ami de Robert, mais finalement c’est Dragonlips qui s’en est mêlé : «Il n’a pas l’air de grand-chose, et pour être honnête j’ignore comme il a fait. Mais je sais que je serais mort sans son intervention. Je pense que ce petit cache un pouvoir particulièrement puissant.» C’était plus ou moins vrai. Je n’ai absolument aucun pouvoir, d’ailleurs je suis la seule personne de cet univers à n’avoir absolument aucun accès à la magie (probablement parce que je ne viens pas de cet univers), mais j’ai un démon à l’intérieur de moi. Sauf que je suis pas sensé en parler, déjà que Jack est au courant je ne sais trop comment. Zapar ne semblait pas convaincu : «J’admets qu’il semble cacher quelque chose, mais il risque quand même de mourir au premier affrontement. Qui assumera sa mort le cas échéant ?

  • Ça n’arrivera pas, j’assurerai sa protection au prix de ma vie si nécessaire. De toute façon, je ne peux pas mourir. Ce qui me donne un avantage certains quand il s’agit de sacrifier sa vie.

  • Attends, est-ce que ça veut dire que tu peux sacrifier ta vie plusieurs fois, ou au contraire que tu ne peux pas la sacrifier du tout parce que tu peux pas mourir ?»

Je trouvais que ma question était légitime, mais personne ne m’a répondu.

Au même moment, dans un monde éloigné de celui où je me trouvais, une réunion de la plus haute importance se tenait. Dans le Plan des Anciens, un conseil avait été rassemblé pour discuter des rumeurs concernant le retour d’un certains Orion prétendant accomplir la Prophétie. Cinq personnes se trouvaient dans la pièce, mais seules quatre d’entre elles parlaient. Argumentant sur la menace. La première se nommait Joanne et dirigeait une des rares armées des Anciens se trouvant perpétuellement sur le Champ de bataille. Selon elle, la menace n’était pas réelle : « Je mène chaque jour combat après combat, m’assurant qu’aucun groupe ne prenne plus de pouvoirs qu’un autre. Je n’ai jamais hésité à m’engager dans un conflit que je savais ne pouvoir gagner, dans le seul but d’affaiblir mon adversaire. Je suis au premier rang pour m’assurer que la prophétie ne s’accomplisse pas, et laissez-moi vous garantir que personne n’est sur le point de gagner. Si une faction, dirigée par Orion ou non, reprenait de l’importance, je le saurais immédiatement et je les écraserais en moins de temps qu’il ne vous en faut pour boire votre thé, Maître Lesord !

  • Vous doutez de ma parole ? L’information du retour d’Orion m’a été confirmé par de multiples sources, pensez-vous réellement que je serais venu vous voir si je n’étais pas absolument sûr de ce que j’avance ? »

Lesord était responsable d’une armée très différente puisqu’il s’agissait d’espions chargés de détecter tous les signes laissant supposer que quelqu’un essaie d’accomplir la prophétie. Il reprit la parole, défendant son point de vue : «Ne pas agir serait idiot. Que ferez-vous si cet Orion, ou qui qu’il soit, libère un dragon comme ce Jack il y a 200 ans.

  • Vous savez très bien que le dragon Elrara n’a même pas exigé notre intervention. Quel objectif essayez-vous d’atteindre en nous citant une tentative pitoyablement ratée de mettre un terme à la guerre ?

  • Ne m’interrompez pas ainsi Carmand, et pour ce qui est de mon objectif, je tiens à vous faire remarquer que personne n’a réalisé ce que ce Jack essayait de faire avant qu’il ne soit trop tard.

  • C’est bien aimable de nous faire cette remarque, dans la mesure où ce sont vos espions qui ont échoué à obtenir cette information. S’ils avaient été plus efficaces, soyez assuré que mes soldats auraient éliminé ce baroudeur avant même que votre thé n’ait infusé !»

Le général Carmand est en charge d’une armée de soldats entrainés spécialement pour éliminer des menaces bien précises, pour peu que les espions de Lesord fournissent des informations pertinentes en temps et en heure. Le quatrième seigneur à prendre la parole est le maître Serebeorth, responsable de l’entrainement de tous les soldats anciens, quelques soient leurs armées respectives : «Peu importe l’efficacité de nos espions, il est impossible de repérer toutes les menaces. Et oubliez-vous, maitre Carmand, que vos troupes ont été incapables d’arrêter Orion la première fois qu’il a voulu gagner la guerre ? Vous l’avez laissé avancer jusqu’à ce que la Statue des Anciens soit obligé de faire votre travail à votre place.

  • Combien de fois allez-vous me répétez ce même échec encore et encore ? Mon armée a fait face à nombres de menaces, et elle fera face à bien d’autres encore. Qui plus est, Orion était un combattant depuis le début, c’était donc à Joanne de l’arrêter et pas à moi.

  • N’était-ce pas moi qui aie poursuivi les soldats d’Orion après que la statue se soit contentée de les faire fuir ? Sans moi, ils seraient probablement revenus avec un meilleur plan qu’on aurait peut-être été incapable d’arrêter.

  • Mais c’est justement le cas. Orion est de retour, ou bien est-ce que vous n’avez rien écouté depuis le début de cette réunion ? Interrogea Lesord.

  • En tout cas, c’est ce que vos espions prétendent, seigneur Lesord, mais qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne se sont pas simplement plantés ? demanda Carmand, ou pire, peut-être que vous avez inventé cette rumeur pour donner de l’importance à votre armée qui n’a rien détecté depuis Orion ?

  • Vous osez douter de la capacité de nos espions ? Je peux vous assurer qu’ils sont tous aussi efficaces que votre force spéciale ! s’énerva Serebeorth.»

Le conseil s’échauffait clairement, les arguments tous plus vaseux les uns que les autres transformant la conversation en un règlement de comptes entre quatre généraux ne se retrouvant pas assez souvent. Personne ne semblait prendre la menace d’Orion au sérieux, à l’exception du seigneur Lesord. La dispute continua, sans mener à aucun résultat concluant, jusqu’à ce qu’ils en viennent à s’insulter ouvertement : «Tout le monde sait que vos espions sont des alcooliques, ils seraient incapables de repérer Orion s’il venait se présenter directement à votre château !

  • C’est encore une bonne chose, si je vous annonçais le retour d’Orion, vous seriez foutu d’envoyer tous vos soldats s’entretuer en espérant que le sang l’effraierait !

  • Vous n’êtes que des gamins, incapables de mener à bien une guerre comme moi je suis capable de le faire. Vous ne tiendriez pas deux jours sur le champ de bataille, pas deux jours !!!

  • LA PROPHETIE NE DOIT PAS S’ACCOMPLIR !!!»

Le silence retomba dans la pièce, tous les regards tournés vers la cinquième participante qui venait d’exploser de manière tout à fait inattendue. Elle se tourna vers eux, profita du silence quelques instants pour bien obtenir leur attention et reprit, doucement mais sèchement : «Ou bien avez-vous oublié vos vœux ? Si c’est le cas, je vous invite à relire les mots gravés sur le mur derrière moi.»

Sur le monde au centre de tout

Aura lieu la bataille éternelle

Peu importe qui s’affronte

Les combats ne devront jamais cesser

Si c’est le cas, alors toute vie s’arrêtera

Car le destin de la magie est lié à la guerre sans fin.

Il s’agissait bien sûr de la Prophétie. La générale continua ainsi : « Ces mots sont gravés sur un mur dans chacune de nos forteresses, sur chacun des mondes en notre pouvoir. Et la prophétie originale est gardée par les dix Anciens eux-mêmes. C’est pour cette raison que nous nous battons, c’est notre seule raison d’exister. La Prophétie ne doit pas s’accomplir, car sinon toute vie s’arrêtera. Et vous osez vous disputer, prenant le risque d’ignorer un adversaire qui a déjà failli nous battre par le passé. Ou bien avez-vous oublié la puissance de l’armée d’Orion ?

  • Ça ne m’a pas empêché d’éliminer jusqu’au dernier de ses suivants.»

Un long silence suivit les propos de Joanne, suffisamment de temps pour lui permettre de se repentir de son erreur. Tout le monde savait que c’était une très mauvaise idée de contrarier Seph. Elle n’était pas arrivée à la tête de toutes les armées des Anciens pour rien. Elle était impitoyable et prête à absolument tout pour s’assurer que la Prophétie ne soit pas accomplie. Elle avait failli tuer ses propres parents lorsqu’ils avaient rejoint les troupes d’Orion, mais avait finalement décidé de les vendre aux armées justes. Un châtiment à peine meilleur que la mort.

Seph finit par reprendre la parole, assurée que personne n’essaierait encore de l’interrompre : « Cette menace, aussi improbable soit-elle, doit être sérieusement prise en compte. Les Anciens ne nous ont pas accordé la vie éternelle, ainsi que nos positions pour que nous laissions quoique ce soit au hasard. Lesord, tes espions vont enquêter sur le retour de cet Orion autant de temps qu’il faudra pour s’assurer que la menace est fondée ou non. Tu feras remonter tous les rapports que tu recevras jusqu’à mon bureau. Carmand, détache ton équipe la plus puissante pour qu’elle soit prête à intervenir en moins d’un jour, où que soit la menace. Serebeorth, tu vas mener une nouvelle campagne de recrutement pour garnir un peu plus nos rangs au cas où il faille mener une guerre plus conséquente que prévue, n’hésite pas à t’éloigner dans les mondes les plus reclus si besoin. Quant à toi Joanne, tu vas continuer à agir comme tu l’as fait jusque-là. Et si qui que ce soit se présente comme Orion ou l’un de ses fidèles sur le champ de bataille, je veux que tu l’écrases. Vous avez vos ordres, partez maintenant. »

Evidemment, sur le moment, j’ignorais tout de ce qui se passait dans cette salle du Conseil des Anciens, ce qui veut également dire que je n’avais aucune idée des dangers à venir. En fait, aucun d’entre nous n’aurait pu s’y attendre, sauf peut-être Zapar. Dans tous les cas, la première étape pour retrouver Malie était la plus difficile. Il fallait retrouver sa piste, ce qui signifiait retrouver la piste de ce prétendu Orion. Une telle entreprise demandait un certain nombre de contacts pour avoir des yeux et des oreilles partout. C’est, et ce sera toujours, le meilleur moyen de chercher quelqu’un. Bien sûr, tout le monde n’a pas forcément un tel réseau sous la main. «J’ai une armée.» La déclaration de Dragonlips surprit tout le monde, y compris Jack qui pourtant l’avait déjà rencontré. Mais surpris ou pas, c’était clairement le meilleur moyen de trouver rapidement une piste. Le petit hic, c’est qu’il fallait se rendre dans le Plan des Purs, sur le monde où se trouve la ville dans laquelle sont les soldats qui obéissent aux ordres de notre ami le guerrier. La difficulté, mal exprimée dans cette phrase, est que les monstres et les démons sont généralement très mal vus chez les Purs. Et justement, on en a un de chaque. Le meilleur moyen pour qu’ils puissent quand même nous accompagner, c’était que Le, qui est une magicienne particulièrement douée, leur donne une apparence ordinaire. Orsel se montra réticente, mais finit par accepter la transformation, après avoir été assurée qu’elle pouvait s’en défaire d’une simple pensée.

Pour voyager plus rapidement, avons voyagé à domicile. Ça n’a aucun sens, permettez-moi de reformuler, nous sommes entrées dans la maison du prêtre, laquelle s’est ensuite mise à bouger à travers les Plans. Je n’ai absolument aucune idée de comment ça fonctionne, à part que c’est de la magie et que ça rappelle pas mal Doctor Who. Sauf que là c’est plus petit et on peut voyager que dans l’espace. Le trajet durait quelques temps, alors Zapar décida de nous raconter l’histoire d’Orsel. Il jugea que c’était nécessaire avant que l’on ne se rende dans le monde des purs. Permettez-moi de vous la retranscrire de manière légèrement romancée :

«Il était une fois un royaume aussi grand que magnifique. Tous les éléments semblaient être réunis pour faire de cet endroit un véritable paradis sur terre. La faune et la flore étaient en symbiose, les couleurs naturelles s’accordaient ensemble comme ne peuvent le faire que des âmes sœurs, les bruits semblables à une mélodie auraient pu apaiser n’importe quelle furie. Pour couronner le tout, il ne semblait jamais rien se passer de mal. Jamais personne ne décédait, les catastrophes climatiques étaient des phénomènes inconnus pour les habitants du royaume. En fait, le concept même de «malheur» semblait ne jamais avoir fait son apparition dans cet endroit magique. Du moins, jusqu’à ce terrible jour, où en une nuit, tout a brûlé, provoquant plus de malheurs que quoique ce soit auparavant. Mais avant de parler de ça, parlons un peu plus de mon nouvel ami, le monstre.

Son nom est Orsel (vous l’aurez compris), et c’est effectivement un monstre. Dans le monde que je vous décris, le mot «monstre» désigne une créature à l’apparence peu commune et qui a tendance à provoquer la peur. Je dis bien «qui a tendance», parce que ce n’est pas toujours le cas. Et Orsel n’a jamais fait peur à qui que ce soit, mais elle (ou il) en a rendu de nombreux perplexes. En effet, la nature avait voulu qu’il puisse changer de sexe quand il lui plaisait, un peu comme je change entre le masculin et le féminin dans ce texte. Si vous êtes confus, imaginez ce que quelqu’un pouvait ressentir en discutant avec Orsel et en la voyant devenir un homme en plein milieu d’une phrase pour redevenir femme à la fin. Malgré cette particularité, et le fait que son apparence générale la rapprochait plus du troll que de l’homme (notamment au niveau de la carrure, des poils et des dents), il s’agissait là de quelqu’un de très sympathique qui avait tout à fait sa place dans le royaume magnifique. Et pourtant, c’est par sa faute que tout a brûlé.

Je ne peux pas insister suffisamment sur le fait qu’il n’a jamais été dans l’intention d’Orsel de causer la destruction de quoique ce soit et en particulier du monde ou vivait son fils. Je dis que c’est son fils, pourtant ce n’est pas sa progéniture. En fait, notre amie a une représentation bien définie de la famille, probablement causée par le fait qu’elle n’ait jamais connu ses parents. Pour elle, le sang n’a aucune importance pour ce qui est de la famille. Le seul critère qui compte c’est l’amour. Ainsi, elle a adopté un petit garçon qu’elle a trouvé blessé un jour dans la forêt. L’enfant n’avait pas mal, car c’est impossible dans ce monde, et il ne saignait pas non plus. Mais néanmoins, il était tombé et Orsel décida donc de le relever. Aussitôt cela fait, le garçon s’empressa de remercier le gentil monstre et repartit chez ses parents. Parce que oui, l’enfant n’était aucunement orphelin, mais ce n’est pas ce qui allait empêcher le héros de notre histoire de l’adopter.

Pour être tout à fait honnête, leur relation pouvait très bien être comparée à celle de deux amis. Les parents du garçon ne voyaient d’ailleurs aucun problème avec le fait qu’il voit si régulièrement un monstre en tête à tête dans la forêt. Après tout, il n’y avait aucune raison que quoique ce soit se passe mal, puisque ça n’avait jamais été le cas auparavant. Tout allait bien, jusqu’au jour où le garçon posa une question tout à fait innocente : «qu’est-ce que tu es ?» Et il se trouve qu’à cette interrogation, la bête n’avait aucune réponse. Elle ignorait tout à fait ce qu’elle était, puisqu’elle n’avait aucun parent. Elle ignorait jusqu’à sa place dans ce monde, car ce que je ne vous ai pas dit, le détail qui justifie pleinement la question de l’enfant, c’est que Orsel est le seul monstre de ce monde. Il n’y en a pas deux comme lui, et il n’y en a même pas deux semblables à lui. Bien sûr, les autres habitants de cette planète paisible s’en fichent complètement, et c’est probablement ce qui permet à notre héros de vivre un jour après l’autre sans que la question ne le fasse trop souffrir. Pour l’heure, la meilleure réponse qu’elle ait pu trouver, c’est qu’elle était là pour protéger son fils, et personne n’allait l’en empêcher.

En fait, elle aurait fait n’importe quoi pour protéger tous les habitants de cet endroit, ce qui est probablement la raison pour laquelle elle avait décidé de vivre à l’écart des autres pour s’entrainer. Je vous ai bien dit que cet endroit était tout ce qu’il y a de plus paisible, si bien que personne ne maitrisait d’une manière ou d’une autre l’art de la guerre. D’ailleurs, personne ne s’était jamais battu et je doute que l’existence même du concept de combat existe. Pourtant, Orsel possédait un instinct particulièrement étrange, comme un sixième sens qui le poussait à faire des choses particulières. Parfois c’était sans même y penser, au lieu de passer à droite d’un arbre, il passerait à gauche. Ce simple choix, fait par pur réflexe, et celui qui l’a emmené à rencontrer son fils la première fois. Bien souvent, son pouvoir lui permettait de prendre une décision qui aurait juste une petite influence sur son parcours cinq ans plus tard. Chaque fois qu'elle devait prendre une décision, son sixième sens la dirigeait vers le meilleur choix. Je crois que j’ai trop détaillé cette capacité. Toujours est-il que c’est à cause d’elle qu’il passait la majeure partie de son temps à s’entrainer au combat. Sans vraiment y penser, il apprenait à se déplacer efficacement, il renforçait sa musculature et elle apprenait même à se fondre dans les ombres pour ne pas être vu. Ce qui, vu sa carrure, était un exploit particulièrement impressionnant.

Je pense qu’il est maintenant temps de vous expliquer ce qui a causé la destruction de ce monde, et le rôle que notre ami a joué. C’est arrivé très vite, alors je vais vous le décrire très vite. Soyez prêt, ou comme les habitants du royaume, vous ne verrez rien venir. Orsel, alors qu’elle buvait tranquillement à un lac, vit l’eau devenir soudain d’un noir profond. En levant les yeux, elle vit une femme, ou plus exactement une main sortant de l’eau plus loin, s’agitant avec panique. Son sixième sens se manifesta comme jamais auparavant, la suppliant de ne rien faire. Mais le monstre ne pouvait pas laisser quelqu'un se noyer devant ses yeux. Oubliant la couleur qu’avait prise le lac, il se précipita dedans pour venir au secours de quiconque semblait en train de se noyer. Ce fut là sa pire erreur, car la vieille dame qu’il secourut était en réalité une sorcière. En fait, elle était tellement puissante dans son utilisation de la magie qu’elle atteignait le rang de déesse. Mais elle était tellement maléfique que d’autres dieux avaient il y a longtemps décidé de l’enfermer dans ce lac magique, construisant autour un royaume enchanté. Si toutes les personnes aux alentours étaient heureuses, la vilaine sorcière devrait être privée de la souffrance qui alimentait sa magie. La prison aurait pu marcher, si ce n’était pour le fait que la déesse maléfique souffrait elle-même, ce qui lui suffisait pour se recharger lentement. Normalement, ça n’aurait pas dû suffire, mais ajoutez à cela la détresse de notre héros chaque fois qu’il s’interrogeait sur son origine, et c’était juste assez de jus pour que la prisonnière puisse s’échapper. Pour remercier le monstre, la sorcière décida de brûler le royaume entier, sauf cette créature aux deux sexes. La paix et la tranquillité furent instantanément brisées puis réduites en cendres. Le tout ne dura que quelques minutes, le temps de jeter quelques sorts. Chaque mort la rendant plus puissante, chaque décharge de magie parcourait plus de terrain. A la fin, elle riait à gorge déployée devant le massacre qu’elle avait causé. Puis elle partit, laissant Orsel seul.

Peut-être était-ce mieux ainsi. A coup sûr, le monstre n’aurait pas supporté de voir de trop près la destruction qu’il avait causée. Alors qu’il errait dans les ruines, sans savoir quoi faire, il marcha sur les cendres de celui qu’il avait considéré comme son fils. Et je pense que c’est une très bonne chose qu’il ne s’en soit pas rendu compte. Il lui fallut quelques temps pour trouver un moyen de partir, et en réalité il ne vint pas de lui, mais d’une manière qu’il n’aurait pas cru possible. Du ciel vinrent des hommes vêtus de lourdes armures sur lesquelles figurait un symbole représentant une balance. Il s’agissait d’un détachement de l’armée des Justes venus enquêter sur la destruction d’un monde. Le fonctionnement des Justes est encore un peu compliqué pour être expliqué à ce stade de l’histoire. Comprenez simplement qu’il s’agit d’un genre de police. Toujours est-il que lorsqu’ils arrivèrent pour trouver Orsel seul sur les cendres de la planète, ils ne perdirent pas un instant pour l’arrêter.

Durant les quelques mois suivants, le monstre fut régulièrement interrogé et torturé par les Forces des Justes. Il est vrai qu’ils cherchaient à comprendre qui avait détruit un monde en apparence pacifique, mais il y avait aussi une bonne dose de racisme qui expliquait la violence des interrogatoires. En effet, les monstres étaient de manière générale considérés comme les méchants, ce qui, bien sûr, est complètement faux. Prenez Orsel par exemple, il aurait été difficile de trouver qui que ce soit de plus gentil qu’elle dans toute l’armée des Justes. Mais malheureusement, l’univers dans lequel se déroulent mes histoires n’est pas forcément joyeux. Bien au contraire, comme le prouve le fait que notre héros fut finalement condamné à l’esclavage sans même que sa participation dans la destruction de son monde ne fut prouvée.

Heureusement, Orsel fut sauvé par un groupe de monstres fatigués par l’oppression des Justes. Ils s’étaient réunis à une dizaine et menèrent une attaque contre la forteresse dans laquelle se trouvait notre amie. Celle-ci ne manqua pas de participer au combat. Depuis quelques mois, elle avait découvert la notion de douleur physique. Maintenant elle mourrait d’envie de découvrir ce que ça faisait de la donner. Une créature autrefois si généreuse était devenue un vrai monstre. Tout ça parce que les hommes la considéraient déjà comme telle. Je suis heureux qu’elle ait pu s’enfuir, car sinon je n’aurais jamais pu la rencontrer. Mais je regrette les circonstances dans lesquelles elle a pu partir. Personne d’aussi doux ne mérite de devenir aussi dur.

Nous voici à la fin du récit. Le temps passa, et bien vite le royaume magnifique qui avait disparu du jour au lendemain fut oublié. Par tous, sauf un qui était parfois une. Orsel continua de vivre, partout où elle allait, elle était victime de la persécution dont sont toujours victimes les monstres. Elle qui avait toujours aimé converser avec les autres êtres vivants, se renferma tellement sur elle-même pour se protéger, qu’elle perdit le don de la parole. Elle qui n’avait jamais eu peur de montrer l’étendue de sa particularité, décida de rester un garçon pour paraître plus fort. J’imagine que c’est pour ça que je reste avec le sujet «elle». En souvenir de ce qu’elle a été. J’ignore ce qui lui est arrivé exactement après son évasion, Zapar ne l’a pas dit. Peut-être s’est-elle cachée sous terre avec les siens, échappant ainsi au regard des hommes furieux. Par la suite, elle est tombée sur le prêtre qui l’a sauvé d’une attaque par un groupe de soldats Purs. Depuis ce jour, ils sont restés ensemble, se protégeant l’un l’autre.»

Je me suis senti bizarre quand j’ai entendu cette histoire pour la première fois. Pendant tout le récit, Orsel était restée dans son coin. Et moi, je me sentais étrange. Mal, comme si j’étais coupable de ce qu’elle a dû vivre. Ce sentiment ne fit qu’empirer lorsque nous arrivâmes au château des Purs. C’était la première fois que je me retrouvais dans une ville d’où les monstres étaient complètement absents. Certes, lorsque j’étais chez les Justes, ils étaient tous enchaînés, mais j’ai toujours supposé que c’était parce qu’il s’agissait des criminels. En réalité, leur nature est le seul motif nécessaire pour justifier la haine que les Purs leur vouent. Mais alors pourquoi est-ce que les monstres ne restent pas dans leur Plan ? Pourquoi s’acharnent-ils à venir dans des mondes qui les refusent ? «Parce que le Plan des Monstres est dépourvu de soleils, si bien que la lumière naturelle est inexistante.» répondit Jack. La plupart des Monstres ne veulent rien d’autre que de vivre au soleil avec nous. Mais les purs, aussi bien que les Justes leur refusent.

  • Pourquoi ? C’est cruel, alors que les Monstres dérangeraient pas du tout.

  • La situation est plus compliquée que ça, les Monstres ne sont pas tous comme Orsel. Certains sont presque aussi cruels que les Démons. Et tous doivent manger comme tout le monde. Les Purs refusent leur existence pour protéger leurs enfants. Les Justes condamnent les Monstres pour tous les crimes que leurs ancêtres ont commis et les Anciens craignent que leur puissance mette fin à la guerre.

  • Aucun d’entre eux n’a raison, intervint Dragonlips, et aucun d’entre eux n’a réellement tort. J’ai vu les ravages commis par les Démons et ceux commis par certains Monstres. Les Dragons en particulier sont une espèce extrêmement dangereuse.

  • Je ne reproche pas aux hommes les traitements qu’ils font subir à mon peuple, commença Orsel, car je sais que trop d’entre nous sommes prêts à tuer pour gagner notre place au soleil. J’aurais simplement aimé qu’ils puissent faire la différence entre haine et amour.»

Une fois arrivés, nous fûmes installés dans le château du village. Un confort auquel je dois dire que je ne m’attendais pas. Dragonlips donna ses ordres rapidement, demandant des renseignements sur un certain Orion. Ses troupes partirent aussitôt, ils avaient chacun en tête une liste de contacts à interroger, entre trente et cinquante noms pour chacun des cent soldats. Des contacts situés dans tous les Mondes. Avec un tel réseau, ça devrait être très rapide de trouver notre cible. En attendant, il n’y avait qu’à patienter tranquillement dans un château. Si vous voulez mon avis, il y a pire comme endroit pour attendre. A l’intérieur, Zelbe et Orsel pouvaient reprendre leur apparence ordinaire, l’approbation de Dragonlips était tout ce qu’il fallait pour que les soldats retirent les deux bêtes de leurs listes de choses à tuer. Il ne pouvait pas en être dit autant pour les villageois, mais la forteresse était suffisamment grande pour diminuer l’intérêt d’aller dehors. La démone n’avait aucun problème à s’isoler, mais Orsel trouvait la situation plus difficile. Quand elle n’était pas à l’aise, elle prenait l’apparence d’un mâle, ce que je trouvais très étrange. Elle passa nombre de ses journées à scruter les villageois par la fenêtre la plus élevée du château. Deux nuits passèrent avant que j’ose poser la question qui me démangeait : «Pourquoi est-ce que tu ne nous hais pas ?

  • «Nous» qui ?

  • Les hommes, ceux qui martyrisent ton peuple en lui refusant les joies du soleil. Je sais que tu as dit que certains de tes congénères méritaient un tel traitement, mais ce n’est clairement pas ton cas. Tu devrais nous détester pour notre incapacité à faire la différence entre quelqu’un comme toi et un démon.

  • Attention à ce que tu dis, il y a une démone dans ces murs qui n’apprécierait pas le ton que tu utilises.

  • Tu sais ce que je veux dire.

  • Est-ce que ça te rassurerait que je haïsse ton peuple ?

  • … Je ne sais pas.»

Elle reprit un sexe et féminin et se mit à sourire avant de tourner les yeux vers moi alors qu’elle avait fixé la fenêtre pendant tout le début de la conversation. Elle se rapprocha lentement de moi, faisant glisser ses griffes sur le mur. J’ignore si l’objectif était de m’intimider mais ce fut un succès, je n’osais plus bouger, plus parler et c’est à peine si j’osais respirer. Elle s’approcha pas à pas. «Tu veux vraiment savoir ?» Elle continuait son approche méthodique, et lorsqu’elle arriva jusqu’à moi, elle se mit à me tourner autour, me surplombant de toute sa hauteur. «Tu pars du principe que je ne suis pas comme les autres monstres, que je n’aime pas tuer, que je n’aime pas dévorer la chair des enfants. Et pourquoi ? Parce que je t’ai raconté une histoire ? Es-tu toujours aussi naïf, ou bien est-ce que mes crocs t’ont amadoué ? Est-ce que mes griffes t’incitent à me faire confiance ?» En prononçant ces mots, elle fit glisser une de ses griffes sur ma joue, puis s’arrêta sur ma gorge. Elle se mit à appuyer, augmentant la pression petit à petit pour augmenter la douleur. «Je hais ton peuple. Depuis que j’ai quitté mon petit monde merveilleux, j’ai commencé à vous détester. A cause de la sorcière qui a détruit et tué tout ce que j’aimais. A cause des hommes qui ont tout fait pour me tuer et qui m’ont forcé à me cacher sous terre dans la crasse et la puanteur. La vérité c’est que j’ai tué de nombreux hommes, de nombreuses femmes et de nombreux enfants. Je ne suis pas un gentil monstre, ou en tout cas je ne le suis plus.» Elle retira sa griffe et partit, me laissant seul avec ma peur. Je portais une main à mon coup pour réaliser que je saignais. Elle aurait pu me tuer si elle l’avait voulu, et dans ses yeux c’était clairement l’impression qu’elle donnait. Mais elle ne l’a pas fait.


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