Chapitre premier : Celui qui n'a pas oublié
- lorkhanponey
- 13 mai 2017
- 8 min de lecture
Il était une fois un royaume aussi grand que magnifique. Tous les éléments semblaient être réunis pour faire de cet endroit un véritable paradis sur terre. La faune et la flore étaient en symbiose, les couleurs naturelles s’accordaient ensemble comme ne peuvent le faire que deux âmes sœurs, les bruits semblables à une mélodie auraient pu apaiser n’importe quelle furie. Pour couronner le tout, il ne semblait jamais rien se passer de mal. Jamais personne ne décédait, les catastrophes climatiques étaient des phénomènes inconnus pour les habitants du royaume. En fait, le concept même de « malheur » semblait ne jamais avoir fait son apparition dans cet endroit magique. Du moins, jusqu’à ce terrible jour, où en une nuit tout a brûlé, provoquant plus de malheurs que quoique ce soit auparavant. Mais avant de vous raconter ce qui s’est passé, je dois vous présenter un personnage qui aura un rôle crucial à jouer dans le reste de cette histoire.
Son nom est Orsel, et c’est en réalité une fille. Ce n’est pas un accident si j’ai commis une erreur sur le sujet. En réalité, Orsel est ce qu’on appelle un monstre. Dans le monde que je vous décris, le mot « monstre » désigne une créature à l’apparence peu commune et qui a tendance à provoquer la peur. Je dis bien « qui a tendance », parce que ce n’est pas toujours le cas. Et Orsel n’a jamais fait peur à qui que ce soit, mais elle (ou il) en a rendu de nombreux perplexes. En effet, la nature avait voulu qu’il puisse changer de sexe quand il lui plaisait, un peu comme je change entre le masculin et le féminin dans ce texte. Si vous êtes confus, imaginez ce que quelqu’un pouvait ressentir en discutant avec Orsel et en la voyant devenir un homme en plein milieu d’une phrase pour redevenir femme à la fin. Malgré cette particularité, et le fait que son apparence générale la rapprochait plus du troll que de l’homme (notamment au niveau de la carrure, des poils et des dents), il s’agissait là de quelqu’un de très sympathique qui avait tout à fait sa place dans le royaume magnifique. Et pourtant, c’est par sa faute que tout a brûlé.
Je ne peux pas insister suffisamment sur le fait qu’il n’a jamais été dans l’intention d’Orsel de causer la destruction de quoique ce soit et en particulier du monde ou vivait son fils. Je dis que c’est son fils, pourtant ce n’est pas sa progéniture. En fait, notre amie a une représentation bien définie de la famille, probablement causée par le fait qu’elle n’ait jamais connu ses parents. Pour elle, le sang n’a aucune importance pour ce qui est de la famille. Le seul critère qui compte c’est l’amour. Ainsi, elle a adopté un petit garçon qu’elle a trouvé blessé un jour dans la forêt. L’enfant n’avait pas mal, car c’est impossible dans ce monde, et il ne saignait pas non plus. Mais néanmoins, il était tombé et Orsel décida donc de le relever. Aussitôt cela fait, le garçon s’empressa de remercier le gentil monstre et repartit chez ses parents. Parce que oui, l’enfant n’était aucunement orphelin, mais ce n’est pas ce qui allait empêcher le héros de notre histoire de l’adopter.
Pour être tout à fait honnête, leur relation pouvait très bien être comparée à celle de deux amis. Les parents du garçon ne voyaient d’ailleurs aucun problème avec le fait qu’il voit si régulièrement un monstre en tête à tête dans la forêt. Après tout, il n’y avait aucune raison que quoique ce soit se passe mal, puisque ça n’avait jamais été le cas auparavant. Tout allait bien, jusqu’au jour où le garçon posa une question tout à fait innocente : « qu’est-ce que tu es ? » Et il se trouve qu’à cette interrogation, la bête n’avait aucune réponse. Elle ignorait tout à fait ce qu’elle était, puisqu’elle n’avait aucun parent. Elle ignorait jusqu’à sa place dans ce monde, car ce que je ne vous ai pas dis, le détail qui justifie pleinement la question de l’enfant, c’est que Orsel est le seul monstre de ce monde. Il n’y en a pas deux comme lui, et il n’y en a même pas deux semblables à lui. Bien sûr, les autres habitants de cette planète paisible s’en fichent complètement, et c’est probablement ce qui permet à notre héros de vivre un jour après l’autre sans que la question ne le fasse trop souffrir. Pour l’heure, la meilleure réponse qu’elle ait pu trouver, c’est qu’elle était là pour protéger son fils, et personne n’allait l’en empêcher.
En fait, elle aurait fait n’importe quoi pour protéger tous les habitants de cet endroit, ce qui est probablement la raison pour laquelle elle avait décidé de vivre à l’écart des autres pour s’entrainer. Je vous ai bien dit que cet endroit était tout ce qu’il y a de plus paisible, si bien que personne ne maitrisait d’une manière ou d’une autre l’art de la guerre. D’ailleurs, personne ne s’était jamais battu et je doute que l’existence même du concept de combat existe. Pourtant, Orsel possédait un instinct particulièrement étrange, comme un sixième sens qui le poussait à faire des choses particulières. Parfois c’était sans même y penser, au lieu de passer à droite d’un arbre, il passerait à gauche. Ce simple choix, fait par pur réflexe, et celui qui l’a emmené à rencontrer son fils la première fois. Bien souvent, son pouvoir lui permettait de prendre une décision qui aurait juste une petite influence sur son parcours cinq ans plus tard. Chaque fois qu'elle devait prendre une décision, son sixième sens la dirigeait vers le meilleur choix. Je crois que j’ai trop détaillé cette capacité. Toujours est-il que c’est à cause d’elle qu’il passait la majeure partie de son temps à s’entrainer au combat. Sans vraiment y penser, il apprenait à se déplacer efficacement, il renforçait sa musculature et elle apprenait même à se fondre dans les ombres pour ne pas être vu. Ce qui, vu sa carrure, était un exploit particulièrement impressionnant.
Je pense qu’il est maintenant temps de vous expliquer ce qui a causé la destruction de ce monde, et le rôle que notre ami a joué. C’est arrivé très vite, alors je vais vous le décrire très vite. Soyez prêt, ou comme les habitants du royaume, vous ne verrez rien venir. Orsel, alors qu’elle buvait tranquillement à un lac, vit l’eau devenir soudain d’un noir profond. En levant les yeux, elle vit une femme, ou plus exactement une main sortant de l’eau plus loin, s’agitant avec panique. Son sixième sens se manifesta comme jamais auparavant, la suppliant de ne rien faire. Mais le monstre ne pouvait pas laisser quelqu'un se noyer devant ses yeux. Oubliant la couleur qu’avait prise le lac, il se précipita dedans pour venir au secours de quiconque semblait en train de se noyer. Ce fut là sa pire erreur, car la vieille dame qu’il secourut était en réalité une sorcière. En fait, elle était tellement puissante dans son utilisation de la magie qu’elle atteignait le rang de déesse. Mais elle était tellement maléfique que d’autres dieux avaient il y a longtemps décidé de l’enfermer dans ce lac magique, construisant autour un royaume enchanté. Si toutes les personnes alentour étaient heureuses, la vilaine sorcière devrait être privée de la souffrance qui alimentait sa magie. La prison aurait pu marcher, si ce n’était pour le fait que la déesse maléfique souffrait elle-même, ce qui lui suffisait pour se recharger lentement. Normalement, ça n’aurait pas dû suffire, mais ajoutez à cela la détresse de notre héros chaque fois qu’il s’interrogeait sur son origine, et c’était juste assez de jus pour que la prisonnière puisse s’échapper. Pour remercier le monstre, la sorcière décida de brûler le royaume entier, sauf cette créature aux deux sexes. La paix et la tranquillité furent instantanément brisées puis réduites en cendres. Le tout ne dura que quelques minutes, le temps de jeter quelques sorts. Chaque mort la rendant plus puissante, chaque décharge de magie parcourait plus de terrain. A la fin, elle riait à gorge déployée devant le massacre qu’elle avait causé. Puis elle partit, laissant Orsel seul.
Peut-être était-ce mieux ainsi. A coup sûr, le monstre n’aurait pas supporté de voir de trop près la destruction qu’il avait causée. Alors qu’il errait dans les ruines, sans savoir quoi faire, il marcha sur les cendres de celui qu’il avait considéré comme son fils. Et je pense que c’est une très bonne chose qu’il ne s’en soit pas rendu compte. Il lui fallut quelques temps pour trouver un moyen de partir, et en réalité il ne vint pas de lui, mais d’une manière qu’il n’aurait pas cru possible. Du ciel vinrent des hommes vêtus de lourdes armures sur lesquelles figuraient un symbole de balance. Il s’agissait d’un détachement de l’armée des Justes venus enquêter sur la destruction d’un monde. Le fonctionnement des Justes est encore un peu compliqué pour être expliqué à ce stade de l’histoire. Comprenez simplement qu’il s’agit d’un genre de police. Toujours est-il que lorsqu’ils arrivèrent pour trouver Orsel seul sur les cendres de la planète, ils ne perdirent pas un instant pour l’arrêter.
Durant les quelques mois suivants, le monstre fut régulièrement interrogé et torturé par les forces des Justes. Il est vrai qu’ils cherchaient à comprendre qui avait détruit un monde en apparence pacifique, mais il y avait aussi une bonne dose de racisme qui expliquait la violence des interrogatoires. En effet, les monstres étaient de manière générale considérés comme les méchants, ce qui bien sûr est complètement faux. Prenez Orsel par exemple, il aurait été difficile de trouver qui que ce soit de plus gentil qu’elle dans toute l’armée des justes. Mais malheureusement, l’univers dans lequel se déroule mes histoires n’est pas forcément joyeux. Bien au contraire, comme le prouve le fait que notre héros fut finalement condamné à l’esclavage sans même que sa participation dans le désastre de son monde ne fut prouvée.
Heureusement, Orsel fut sauvé par un groupe de monstres fatigués par l’oppression des Justes. Ils s’étaient réunis à une dizaine et menèrent une attaque contre la forteresse dans laquelle se trouvait notre amie. Celle-ci ne manqua pas de participer au combat. Depuis quelques mois, elle avait découvert la notion de douleur physique. Maintenant elle mourrait d’envie de découvrir ce que ça faisait de la donner. Une créature autrefois si généreuse était devenue un vrai monstre. Tout ça parce que les hommes la considéraient déjà comme telle. Je suis heureux qu’elle ait pu s’enfuir, car sinon je n’aurais jamais pu la rencontrer. Mais je regrette les circonstances dans lesquelles elle a pu partir. Personne d’aussi doux ne mérite de devenir aussi dur.
Nous voici à la fin du récit. Le temps passa, et bien vite le royaume magnifique qui avait disparu du jour au lendemain fut oublié. Par tous, sauf un qui était parfois une. Orsel continua de vivre, partout où elle allait, elle était victime de la persécution dont sont toujours victimes les monstres. Elle qui avait toujours aimé converser avec les autres êtres vivants, se renferma tellement sur elle-même pour se protéger, qu’elle perdit le don de la parole. Elle qui n’avait jamais eu peur de montrer l’étendue de sa particularité, décida de rester un garçon pour paraître plus fort. J’imagine que c’est pour ça que je reste avec le sujet « elle ». En souvenir de ce qu’elle a été. J’ignore ce qui lui est arrivé exactement après son évasion, elle ne me l’a jamais dit. Peut-être s’est-elle cachée sous terre avec les siens, échappant ainsi au regard des hommes furieux. Ce n’est pas à moi de-vous choisir la suite de son histoire. Si je le faisais, Orsel finirait à trouver un nouveau monde en paix sur lequel elle pourrait veiller heureuse. Peut-être même ce monde serait un havre de paix pour toute son espèce. Mais comme je vous l’ai dit, je n’ai pas choisi ce qui est arrivé ensuite, et je ne peux donc pas choisir ce que je vais vous raconter.
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