top of page

Chapitre 15 : L'entrainement

  • Photo du rédacteur: lorkhanponey
    lorkhanponey
  • 19 août 2017
  • 18 min de lecture

Il était clairement trop fort pour moi, me faisant littéralement manger la poussière. J’étais à terre, mon visage écrasé par sa botte alors qu’il riait aux éclats, me narguant comme jamais auparavant : « Tu es petit, tu es faible et tu ne sais pas comment te battre. Tu n’as aucune chance contre moi, combien de fois ton front devra toucher le sol pour que tu comprennes cette leçon ? ». Je pouvais voir mon épée, non loin. Dès qu’il retirerait son pied de mon crâne, je pourrais l’atteindre et tenter une nouvelle attaque. Aspirant une bouffée de terre involontairement, je répondais sans une seconde d’hésitation : « autant de fois qu’il le faudra pour te battre. »…

J’ai l’impression d’avoir sauté une partie importante de l’histoire. Permettez-moi de reprendre le cours normal de mon récit, et pardonnez cet égarement vers une période encore plus troublée de ma vie. Le château de Dragonlips était un endroit gigantesque, du moins à mes yeux. Comme ça a été le cas depuis le premier pas que j’ai fait dans cet univers étrange, j’étais perdu. Mais cette fois, Robert était loin et à vrai dire il n’avait probablement aucune idée d’où me retrouver. C’était mon mentor, la seule personne grâce à laquelle j’avais survécu aussi longtemps loin de mes parents, et sans lui j’ignorais en qui je pouvais avoir confiance. Dans le doute, lorsqu’un soldat m’informa que son général m’attendait dans la salle d’entraînement, je le suivais sans me poser trop de questions. C’est faux, en réalité je l’ai suivi en me posant toutes les questions possibles et imaginables. Pourquoi la salle d’entraînement ? Est-ce que je dois prévenir quelqu’un à propos d’Orsel ? Est-ce qu’Orsel va me tuer ? Est-ce que Dragonlips va me tuer ? Est-ce que Jack va me tuer ? Est-ce que Zelbe va me tuer ? Est-ce que ce soldat va me tuer ? Est-ce que l’un d’entre eux va mourir ? Est-ce que Robert va mourir ? Est-ce que Robert va me retrouver ? Est-ce que Robert a trouvé un moyen de me ramener chez moi ? Et je vous en épargne d’autres, parce que celles-là sont déjà bien suffisantes pour exprimer mon état de panique.

Cet état ne fut aucune arrangé quand je vis Dragonlips et Jack en pleine joute. Soi-disant un entraînement, la puissance des coups était telle que des étincelles naissaient du choc entre les lames de métal. Aucun ne semblait avoir l’avantage, aucun ne cédait ne serait-ce qu’un centimètre de terrain à l’autre. Soudain ils s’arrêtèrent et firent chacun un pas en arrière. S’observant mutuellement, ils se mirent à tourner dans le même sens. Le baroudeur tenant son épée très basse dans sa main droite se tenait face à son opposant qui tenait son arme haute et droite dans sa main gauche. Jack porta une estocade en avant qui fut facilement esquivée par sa cible. Les deux reprirent leurs positions comme s’il ne s’était rien passé. Dragonlips attaqua à son tour, un coup droit à la verticale qui fut lui aussi évité d’un pas sur le côté. De nouveau, les combattants reprirent leurs positions. Cette fois, ils attaquèrent en même temps, esquivant mutuellement leurs attaques. Jack sauta pour éviter le coup qui lui était adressé et d’une pirouette improbable frappa à son tour Dragonlips qui se laissa tomber au sol pour l’éviter. Les deux furent debout en un instant, s’attaquant de nouveau, sans se laisser le moindre répit. Un coup était à peine paré que le prochain était en route. Les deux hommes semblaient rivaliser en expérience, incapables de se départager.

Il y eut une autre pause, et le guerrier s’adressa au baroudeur « Vous n’êtes pas aussi fort qu’à l’époque où vous m’avez humilié aux yeux de mon père.

  • Si ça peut te rassurer, toi non plus tu n’es pas aussi fort que quand je t’ai humilié aux yeux de ton père.

  • Je me suis entrainé chaque jour, de la meilleure manière à ma disposition. Même lorsque mon père m’enfermait dans une cellule, je m’entrainais dans mon esprit.

  • Clairement, ton esprit n’est pas un bon compagnon d’entrainement, tu devrais en

  • Ce serait probablement vrai, si je n’étais pas en réalité droitier.»

D’un geste habile, il changea son épée de main et recommença ses attaques. Il était plus puissant, plus rapide, plus agile. C’était évident, même pour un novice comme moi. Jack n’attaquait plus, il se contentait de parer et d’esquiver. Il semblait presque en difficulté. Cette impression fut confirmée lorsqu’il reçut une blessure au torse. Les deux adversaires se faisaient face de nouveau. Dragonlips déclara « Allez vieil homme, la dernière fois, vous vous battiez de la main gauche. Ne me faites pas perdre mon temps et reprenez votre main dominante, qu’on en finisse une bonne fois pour toutes. » En retour, Jack se contenta de sourire mais garda son épée dans la main droite. Je sentis une main sur mon épaule me décaler d’un pas vers la gauche. Aussitôt après, le baroudeur bondit en avant, frappant deux fois, trois fois plus vite qu’auparavant, ne laissant aucune chance à son adversaire. En quelques secondes il l’avait désarmé et l’épée de Dragonlips vint se planter dans le mur à l’endroit exact où je me trouvais il y a encore quelques instants. La lame de Jack se trouvait juste sous la gorge de son adversaire lorsqu’il lui annonça la chose suivante : « Alors gamin, est-ce que je t’ai battu avec ma main dominante aujourd’hui, ou à l’époque où je t’ai humilié devant ton père ? ». Sur ces mots, il quitta la salle avec Leonae (c’est elle qui m’avait écarté du chemin de l’épée), me tapotant l’épaule au passage probablement pour paraître réconfortant. Ça n’a pas du tout marché.

Faisant de mon mieux pour retrouver ma posture, autrement dit arrêter de trembler, je m’annonçais officiellement à Dragonlips : « Vous m’avez demandé ? ». Pendant quelques instants, il demeura immobile. M’observant, me jaugeant. Il saisit une épée dans l’un des nombreux râteliers d’armes de la pièce et la jeta dans ma direction. J’esquivais maladroitement avant de comprendre que j’étais probablement censé la rattraper. Réalisant mon erreur, je la ramassais aussi rapidement que possible, à peine m’étais-je relevé que le guerrier était sur moi. Avec l’épée qu’il avait lui-même récupérée, il porta un coup dans ma main droite qui me fit lâche la lame que je tenais, en plus de provoquer une douleur particulièrement importante. « Pourquoi tu as fait ça ?

  • Tu ne me vouvoies plus ?

  • … Pourquoi avez-vous fait ça ?

  • Si tu veux nous être d’une quelconque aide, tu vas devoir apprendre à te battre. La puissance que tu caches à l’intérieur même de ton être ne sera pas toujours suffisante. En particulier si elle te contrôle plus que tu ne la contrôles. »

Ça avait du sens, ma main était toujours douloureuse, mais mon instinct me disait que j’allais souffrir encore beaucoup plus pendant cette quête. Déterminé, je ramassais de nouveau mon arme uniquement pour me faire désarmer de la même manière une deuxième fois. « Si tu ne me laisses pas garder cette épée plus de deux secondes, je vois mal comment tu veux que je m’entraîne correctement.

  • Si tu es incapable de tenir ton épée, pourquoi devrais-je perdre mon temps à t’apprendre à t’en servir ? »

Touché. À ce stade, je me suis résigné à la douleur que j’allais vraisemblablement ressentir pendant cet entraînement. Mais il n’était pas dit que je ne pouvais pas souffrir et en même temps satisfaire mon insatiable curiosité. La question du jour étant : « comment es-tu devenu le seigneur de ce château ? »

Il sembla hésiter quelques instants, puis me fit signe de ramasser mon épée avant de commencer son récit : « Sais-tu qui nous sommes, nous les Purs ?

  • Vous affrontez des démons.

  • C’est une manière de présenter la chose. Je préfère dire que nous sommes le dernier rempart entre tout ce qu’il y a de bon en ce monde, et tout le reste. Mais tu as raison, nous affrontons principalement des démons. C’est pour cette raison que mon histoire commence par mon père. Je n’ai jamais rencontré personne qui détestait autant les démons.

  • Qu’est-ce qu’il avait contre eux ?

  • Ils ont tué ses parents alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il a vu de ses yeux la bête qui leur a ôté la vie, et alors qu’il pensait être le suivant, elle est partie, le laissant vivant.

  • J’ai le sentiment que ce fut une énorme erreur.

  • Reste concentré ! »

Il ponctua sa dernière phrase par une estocade directement dans mon ventre qui me fit tomber à quatre pattes, sur le point de vomir. La douleur était énorme, et elle aurait été encore pire si ça avait été une vraie épée et non une en bois. Dragonlips me laissa le temps de me reprendre, il voulait m’entraîner, pas me tuer. Il continua son récit. Mon père fut changé par cette nuit, il me l’a répété à de nombreuses reprises. Lorsqu’un groupe de soldats Purs est arrivé pour sauver qui pouvait l’être, il a aussitôt choisi de les rejoindre. Animé par sa rage, il devint l’un des plus grands tueurs de démons du Plan des Purs. Il prit le nom de Dragonclaws et forma une armée dont le seul objectif était d’anéantir systématiquement les démons, tâche noble et qui exige de nombreux sacrifices. Ma mère en fit partie. Peu après ma naissance, une bête démoniaque voulant s’en prendre à mon père choisit de s’attaquer à sa femme. Je n’ai jamais su son nom, mais lorsque je ferme les yeux, je peux parfois la voir mourir. Pourtant, selon mon père j’étais très loin lorsque la boucherie a eu lieu, il est impossible que j’en ai le moindre souvenir. Ça n’a aucune importance en réalité, car ces visions sont la seule image que j’ai de ma mère. Le seul moyen que j’ai de me souvenir de son existence. Pour cette raison, je les chérirai même s’ils sont faux. » Il s’interrompit dans son récit alors que je me relevais enfin. La douleur ne s’était pas estompée, mais je décidais de la surmonter. Reprenant en main mon épée, je me préparais pour le prochain coup. Il vint rapidement, mais je parvins à le bloquer. Fier de moi, je ne vis pas venir le suivant qui me balaya avec une telle puissance que mon souffle en fut coupé. À ce stade, Dragonlips commençait à se demander s’il n’y allait pas trop fort. Devant mon acharnement, il choisit de continuer dans cette voie, me laissant le temps de reprendre correctement ma respiration alors qu’il continuait son récit.

« Chez les Purs, la valeur d’un individu est déterminée par sa puissance de combattant. Tous les enfants sont élevés dans cette optique, les parents n’hésitant pas à sortir le fouet si nécessaire pour endurcir leur progéniture dès le plus jeune âge. Mon père voulait faire de moi le plus grand guerrier qui ait existé, alors il usa du fouet sur mon dos chaque soir et chaque matin, Peu importe que j’aie fait quelque chose de réprimandable ou non. À chaque séance, les coups étaient plus forts qu’à la précédente, pour s’assurer que ma peau devient plus dure que la roche. Technique peu orthodoxe, certes, mais il faut reconnaître qu’elle a porté ses fruits. Dès l’âge de dix ans, le fouet ne faisait plus couler mon sang et la douleur avait disparu. Mon père ne s’arrêta pas là bien sûr, cherchant toujours la meilleure manière de pousser mon corps jusqu’à ses limites et au-delà. Il voulait que je devienne insensible à la douleur, et pour ce faire il devait m’en infliger plus qu’aucun homme auparavant n’en a subi. J’ai été battu plus de fois que je n’ai été nourri. On m’a plongé dans l’eau bouillante, brûlé, tailladé jusqu’à ce que les lames s’émoussent sur ma peau. Dragonclaws n’avait aucun autre désir que de faire de moi une arme, et pourtant je l’aimais. Malgré tout ce qu’il m’a fait subir, j’étais persuadé qu’il ne voulait que mon bonheur. Qu’il agissait dans mon seul intérêt.

  • Je commence à comprendre de qui tu tiens ta méthode d’entraînement.

  • Veux-tu que j’aille plus doucement ?

  • Disons juste qu’en tant que prestidigitateur, mes mains sont mon organe le plus important.

  • Qu’est-ce qu’un « prestidigitateur » ?

  • C’est quelqu’un qui fait des tours de cartes, d’évasion, de mentalisme. Juste pour amuser les gens.

  • Voilà ce que je te propose, je vais frapper de telle sorte que dans le pire des cas, tu puisses retrouver le plein usage de tes mains au bout d’une semaine.

  • Ça me va.»

Il me fit regretter ces trois mots plus rapidement que je ne les avais prononcés. Il me désarma une fois, deux fois, trois fois… Au bout de la dixième fois, j’étais persuadé que mon poignet était brisé. La douleur était telle que je ne pouvais plus tenir mon épée.

Il annonça qu’on allait faire une pause, et bien sûr j’étais plus que d’accord. Il me fit m’asseoir et entreprit de soigner ma blessure à l’aide de bandages et d’onguent. Et bien sûr, il continua son histoire : « A l’âge de vingt ans, père considéra que j’étais devenu assez puissant pour rejoindre son armée. Lors de mon premier combat, je fis face, seul, à un puissant démon. Je subis le feu qu’il crachait sans broncher sous la douleur, alors que mon armure fondait. Je subis une attaque, puis deux. Privée de ma protection, laquelle fumait encore sur le sol, les griffes de la bête me transperçaient la peau. Mais rien ne m’arrêtait. D’un coup puissant, je fis tomber le bras droit du démon. Celui-ci poussa un hurlement qui envoya des ultrasons à des kilomètres à la ronde. Mais même mes oreilles avaient été entrainées à résister aux pires douleurs. Sans ralentir une seule seconde, je plantais mon épée dans la gorge de la bête, mettant fin au cri ainsi qu’à la vie abjecte de cet être dénué d’humanité. Une fois le cadavre à terre, je me tournais vers mon père, cherchant son approbation. Mais il n’était plus là. Il n’avait pas attendu de voir si j’allais triompher, préférant profiter de la distraction pour se rendre au château qu’il venait de sauver et récolter les lauriers de ma victoire. C’est à ce moment que j’ai commencé à comprendre que l’objectif de mon père était passé de «tuer tous les démons» à «faire savoir à tout le monde qu’il est le meilleur chasseur de démons de tous les Plans de la Guerre.» C’est à ce moment que Jack a commencé à faire parler de lui.

  • C’est de ça dont tu parlais tout à l’heure avec lui ?

  • Exactement. A l’époque, je ne le connaissais que comme un simple baroudeur dont les prouesses combatives étaient dites imbattables. Mon père, refusant qu’un inconnu vienne lui faire de l’ombre, me chargea d’éliminer ce Jack. J’aurais fait n’importe quoi pour qu’il montre qu’il m’aimait, alors j’ai accepté. J’ai défié le baroudeur dans un duel sans armes ni armures, sûr de ma victoire. Mais tu as probablement deviné le résultat de ce duel.

  • Il t’a humilié devant ton père.

  • En un coup, dirigé vers un des seuls points faibles de mon corps, il me mit à terre sans que je sois capable de me relever.»

Une fois les bandages appliqués, mon poignet me faisait toujours un mal de chien. Dragonlips m’informa que l’onguent commencerait bientôt à agir, et soulagerait la douleur. En attendant, il décida de m’entrainer à esquiver ses coups. Pendant qu’il me battait littéralement, il continua à me raconter son récit, j’ignore pourquoi mais ça me permit de mieux me concentrer et faire en sorte de moins subir la dureté de son épée. « Mon père ne fut pas satisfait de mon échec. Au contraire, il était furieux. Il m’enferma dans une cellule conçue exprès pour moi. De chacun des quatre murs sortaient des pics acérés, et bien sûr le plafond et le sol étaient également équipés de dents métalliques. Quand je l’ai vu pour la première fois, deux pensées m’ont traversé. D’abord la folie qui devait abriter l’esprit de celui qui avait inventé cette cage de l’enfer. Ensuite, le talent qu’il avait probablement fallu pour la construire sans se blesser. Mon père me fit passer une semaine dedans, sans boire, sans manger et bien sûr sans dormir.

  • Est-ce que tu me racontes tout ça pour que je t’en veuille moins pour les tortures que tu me fais subir actuellement ?

  • Je ne souhaite pas que tu aies pitié de moi. Comme tu peux le constater, j’ai très bien fini, peu importent mes origines. Qui plus est, j’ai passé une très bonne semaine dans cette cage.

  • Comme si j’allais te croire.

  • Reste concentré. »

Il ponctua ces deux mots par un coup sur le haut de mon crâne. Ce fut le coup qu’il me fallait pour transformer ma souffrance en rage. L’onguent sur ma main droite devait commencer à agir, car la douleur s’estompa suffisamment longtemps pour que je saisisse mon épée et que je commence à attaquer Dragonlips. Je frappais une fois, puis une deuxième, enchainant mes coups sans aucune technique particulière. Il n’eut aucun mal à les parer un par un, contre-attaquant à chaque fois. Je pris plus de coups en essayant de lui en donner que quand j’étais sensé les éviter. De nouveaux, il visa mes jambes et me fit tomber brutalement sur mon dos. Essoufflé, sentant les bleus se former sur l’intégralité de mon corps, j’avais encore assez d’énergie pour ouvrir ma grande bouche : « Pendant que je me repose un peu, tu voudrais pas m’expliquer comment t’as pu passer une bonne semaine dans l’engin de torture que tu m’as décrit ?»

«Comme tu le sais sûrement, chaque être vivant nait avec une capacité unique qui change pour chaque être humain. Il s’agit d’un sort que l’on peut lancer de manière innée, un pouvoir, certains disent. Ceux qui étudient la magie disent que c’est ce qui relie chaque individu à la source de la vie, à l’essence même de ce qui rend possible notre présence sur ces mondes si diversifiés. Très vite, j’ai révélé mon aptitude à mon père qui n’a pas approuvé. Ne voyant pas ce qu’un combattant pouvait faire d’une telle capacité, il n’a rien fait pour m’apprendre à m’en servir, insistant sur les aspects plus physiques de mon entrainement. Il pensait que j’ignorais comment m’en servir, en réalité sans mon pouvoir je n’aurais jamais survécu à ses traitements. Il est difficile de le décrire, mais il est de nature empathique. Similaire à de la lecture d’esprit, tout en étant très différent. Quand je m’en sers, c’est comme si je pouvais ressentir les émotions des personnes autour de moi avec une telle intensité que j’ai l’impression que ce sont mes propres émotions. Ce qui veut dire que si je l’utilise sur quelqu’un d’heureux, je serais heureux aussi. Cette semaine fut la meilleure de ma vie, parce que ce fut la meilleure de la vie d’une jeune fille de mon âge. J’ignore son nom, c’était une servante du château qui avait appris peu de temps auparavant qu’elle allait pouvoir se marier avec un soldat de l’armée des Purs, plus précisément l’armée de Dragonclaws. Son bonheur et son amour étaient si forts que j’avais l’impression d’être à ses côtés, sinon dans sa peau. Les sentiments étaient si puissants qu’ils recouvraient complètement la douleur causée par les pics rentrant dans ma chair. En fait, c’était tel que lorsque mon père me libéra enfin, j’étais presque triste.» Il s’arrêta de parler de manière assez soudaine. Il semblait distrait, suffisamment pour que je me relève d’un coup et que je le désarme avant qu’il ne puisse réagir. Son épée au sol, il demeura immobile. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre : «Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

  • Qu’est-ce qui est arrivé à qui ?

  • La fille ?»

Il lui fallut quelques instants, mais il finit par reprendre son discours : «Je m’étais senti si connecté avec cette fille, que je pris la décision d’aller à sa rencontre. C’était une grosse erreur, car mon père observait mon comportement. Il me voyait exprimer des sentiments, et il détestait ça. Considérant que c’était une erreur de la part de l’arme que j’étais. A cause de moi, il accusa la jeune fille d’être une démone déguisée et la condamna à mort. Elle fut jetée dans la prison qui m’avait retenu la semaine passée, ce qui fut pour elle une réelle torture. Je ne pouvais faire autrement que de ressentir toute sa détresse, sa souffrance et son malheur. Priant les dieux pour que je puisse tout subir à sa place, mais mes prières n’avaient aucun effet. Mon père était le seul responsable de cette monstruosité, et il était le seul à pouvoir y mettre un terme. Je le suppliais de la libérer, tombant à genou, submergé par des émotions que je n’avais pas l’habitude de ressentir. Mon père croyait avoir réussi à m’enlever la tristesse, le désespoir, le malheur, la peur et la souffrance. Mais les voir ainsi ressurgir était pour lui la preuve de son échec, échec qu’il reprochait à la jeune fille souffrant dans ses donjons. Il prétendit accéder à ma requête, libérant sa victime, il la traina vers la cour des exécutions et ordonna à un de ses soldats de la maintenir en place pendant qu’un autre prenait une épée pour lui couper la tête une bonne fois pour toutes. Pour s’assurer que le supplice soit à son plus haut point, le soldat chargé de la besogne était celui qui était promis à devenir le mari de la condamnée.

  • Il a refusé. S’il l’aimait vraiment, il n’a pas pu accepter de la tuer.

  • Le monde que tu sembles imaginer me paraît meilleur que la réalité de celui-ci. Le soldat n’avait pas le choix, personne n’avait le choix devant les ordres de mon père, le grand tueur de démon.

  • Mais pourquoi ? Même s’ils en avaient peur, même s’ils craignaient son courroux, c’était l’amour de sa vie. Et les autres, pourquoi n’ont-ils pas essayé d’arrêter Dragonclaws ?

  • Parce que son pouvoir, la faculté unique qui le reliait à la magie, lui permettait de convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi. Ça allait même plus loin puisqu’il était capable de créer un sentiment à son égard, concrètement il pouvait forcer n’importe qui à l’aduler. C’est comme ça qu’il était devenu ce qu’il est devenu.

  • Alors quoi, qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? »

Dragonlips se tut. Refusant de me révéler la réponse à ma question, je commençais sérieusement à m’inquiéter. J’insistais, mais il demeurait muet, comme si ce n’était pas à lui de raconter l’histoire. Ou comme s’il en avait honte.

«J’avançais vers celle qui devait devenir ma femme, mon épée à la main, bien décidé à lui ôter la tête.» De derrière un mur surgit un soldat. A son discours, il semblait évident que c’était le soldat de l’histoire, et c’est lui qui continua le récit à la place de Dragonlips. «Je pouvais voir mes jambes avancer, sans vraiment pouvoir en reprendre le contrôle. Je pouvais voir l’amour de ma vie, ma douce promise pleurer en me voyant approcher. Et même si je voulais pleurer, j’en étais incapable. Je ne faisais que continuer à avancer. Je ne ressentais rien d’autre que du désespoir, de plus en plus fort à mesure que j’approchais ma lame de la nuque de ma femme. Je levais mon épée haut dans le ciel, préparant l’exécution. Une larme coulait sur mon visage, sans que je puisse réagir. Et soudain, je repris le contrôle de mon corps comme si je ne l’avais jamais perdu. Un silence de mort s’était abattu sur la place tout entière. Personne ne parlait, personne n’osait même respirer. Puis, le bruit du corps de Dragonclaws touchant le sol mis un terme au silence. Son fils avait planté son épée entière dans le torse de son père, lui ôtant la vie et le sort qu’il avait lancé sur toute la ville. Son pouvoir de persuasion s’étant enfin arrêté, nous pouvions enfin le voir comme le monstre qu’il était. Tous ces gens qui étaient prêts à regarder ma femme mourir par ma main se précipitèrent pour nou

  • Qu’est-ce qu’il s’est passé après ? demandais-je.

  • Après ? Eh bien, nous venions juste de perdre notre général et en même temps on avait réalisé qu’il n’aurait jamais dû être général. Tu t’en doutes probablement, mais notre armée était clairement en déroute. Sans nouveau leader, toute notre organisation aurait probablement implosé et chaque soldat serait parti de son côté. Heureusement, il y avait non loin un homme formé depuis son enfance pour devenir le plus puissant des soldats. Dragonlips était un choix évident pour succéder à son père. Certains redoutaient que son hérédité finisse par ressortir, mais de toute façon personne d’autre n’aurait pu remplir la fonction. C’est comme ça que Dragonlips est devenu notre général.

  • Et toi, est-ce que tu faisais partie de ceux qui doutaient de lui ?

  • Moi ? Tu plaisantes, à mes yeux il avait sauvé l’amour de ma vie. Je n’ai pas fait que le suivre, je suis devenu son bras droit. Son conseiller le plus fidèle, simplement parce que je voulais être au meilleur endroit possible pour l’aider lorsqu’il en aurait le plus besoin.

  • Et tu ne m’as jamais trahi, Whitefall. Tu as été à mes côtés sans faillir depuis maintenant trois ans, et je t’en remercie. Il n’y a personne en qui j’ai plus confiance pour accomplir la mission que je t’ai confiée. »

À ce stade, j’ignorais de quelle mission il s’agissait, et apparemment ils voulaient garder le secret. Ils discutèrent pendant quelques instants à voix basse, s’assurant que je ne pouvais pas entendre. Puis Whitefall fit une révérence, déclara « Je serais vite de retour » et partis. Juste avant de sortir il se retourna et déclara en plaisantant : « Ne vous attachez pas trop à ma femme en mon absence. »

Dragonlips sourit puis récupéra son épée. Nous reprîmes notre entraînement sous l’observation de Le qui venait d’arriver. J’étais devenu plus doué pour tenir mon arme, mais je finissais toujours très souvent face contre le sol. Depuis qu’il m’avait raconté son histoire, il frappait beaucoup moins fort, et pour une raison étrange ça ne me plaisait pas du tout. J’essayais d’attaquer avec plus de puissance pour le faire réagir, mais j’étais incapable de le toucher. Pire encore, parce que j’ai réussi à le toucher à un moment, mais uniquement parce qu’il l’a bien voulu. Il n’a absolument pas bronché et a contre-attaqué avec un coup de pied qui m’a fait voler deux mètres en arrière. « Si c’est pour le tuer, je peux m’occuper de son entraînement, ce sera beaucoup plus rapide. » Le entra dans la pièce en souriant, m’aidant à me relever. Elle plaça sa main juste devant mon ventre souffrant, une lumière en sortit et la douleur, sans disparaître complètement, s’atténua considérablement. Dragonlips essaya de la provoquer : « Peut-être que tu devrais t’entraîner aussi, surtout après la blessure que tu as reçu contre le démon de l’autre jour.

  • Tu penses que j’ai besoin d’entraînement ? Vraiment ? »

Avec un sourire, elle se contenta de faire un geste de sa main droite. Aussitôt, toutes les armes présentes dans tous les râteliers de la salle s’élevèrent dans les airs avant de se jeter sur Dragonlips. Celui-ci fut pris par surprise, mais il réussit néanmoins à esquiver et parer la grande majorité. Malheureusement, ça ne suffisait pas car les épées contrôlées par la magicienne étaient animées d’une volonté propre. Elles ne se contentaient pas de se diriger dans une direction jusqu’à rencontrer un obstacle, elles attaquaient réellement le guerrier. Très vite, il fut submergé et se retrouva face contre le sol comme moi quelques instants auparavant. Pendant tout ce temps, Le n’avait absolument pas bougé et ne semblait aucunement fatiguée. « Tu es un puissant guerrier, mais je suis une bien meilleure magicienne. » Sur ces mots, elle sortit de la pièce. Dragonlips l’observa partir, il souriait.


Comments


Posts à l'affiche
Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags

© 2017 by Lorkhan Poney. Proudly created with Wix.com

bottom of page