Chapitre 18 : Le prisonnier
- lorkhanponey
- 10 sept. 2017
- 18 min de lecture
Il ne peut pas y avoir de guerres si les deux parties prêtes à s’engager dans le combat ne sont pas convaincues d’agir pour la bonne cause. Aussi étrange que cela puisse paraître, aucune armée n’a jamais réellement l’impression d’être la méchante. D’ailleurs, dans la majorité des conflits il n’y a en réalité aucun méchant. C’est particulièrement vrai dans ce monde, la guerre éternelle met en scène des milliards de soldats convaincus d’agir pour la bonne cause, convaincus que s’ils ne se battent pas, tout le monde va mourir. J’ignore si cette prophétie est réelle ou non, ce qui rend mon combat difficile. Parce que j’ignore quelle est la bonne cause. Si j’arrête la guerre, tout le monde risque de mourir. Mais si je peux arrêter la guerre sans déclencher la Prophétie, il faut absolument que je le fasse. J’étais en train de réfléchir à cette question lorsque j’entendis la voix de Sam’ell, l’être composé de sang se trouvant actuellement dans mon corps : « Est-ce que tout va bien ? Tu sembles distrait.
Comment est-ce que tu le sais ? Tu peux lire dans mes pensées ?
Non, mais je circule dans ton corps au rythme des battements de ton cœur, j’ai noté qu’ils s’étaient considérablement accélérés au cours des dernières minutes.
C’est rien, j’étais en train de réfléchir.
Est-ce que je peux demander sur quel sujet ?
Tu ne nous connais pas depuis très longtemps, d’ailleurs je ne connais pas vraiment les autres depuis longtemps non plus. Mais à ton avis, est-ce que notre cause est juste ? Nous voulons sauver Malie, qui est une petite fille potentiellement en danger. Ce qui semble être raisonnable. Sauf que cette petite fille est en réalité une Epithy, capable de réaliser n’importe quel vœu, ce qui veut dire qu’elle pourrait sauver le Monde. Le problème, c’est que dès qu’elle l’aura exaucé, elle mourra. Mais est-ce que ce sacrifice n’est pas nécessaire ? Est-ce qu’on a tort de vouloir empêcher le fils d’Orion de se servir de Malie pour sauver le monde ?
… Je ne peux répondre à cette question. Tout ce que je peux te dire, c’est que cette guerre dure depuis plus longtemps que quiconque ne pourrait l’imaginer. Et la seule personne qui aurait pu y mettre un terme est aussi le plus grand meurtrier de l’Histoire. A partir de ces éléments, toi seul peut choisir la bonne voie. »
Sans vraiment avoir de réponse à ma question, je devais pourtant continuer d’avancer. Marchant sans réellement savoir où j’allais, je tombais sur Zapar se dirigeant vers le donjon. Il était seul, trop concentré pour m’apercevoir. Sur un coup de tête, je décidai de le suivre. Le sang magique de Sam’ell circulant toujours dans mon corps, mes sens étaient développés de telle manière que je pouvais rester loin derrière lui et continuer à l’entendre. A l’entrée du donjon, était posté un garde. J’ignorais si j’avais le droit ou non d’être ici, après tout je n’étais qu’un enfant (même avec un démon logeant à l’intérieur de mon esprit). Dans tous les cas, je jugeai qu’il était plus intéressant de ne pas me faire remarquer, je profitai donc de ma petite taille et du manque de lumière pour passer sans me faire remarquer du garde occupé à jouer au solitaire. Heureusement pour moi, il avait laissé la porte menant aux cellules ouvertes, en prévision du retour de Zapar. Celui-ci était au fond des cachots, ce qui me permit de m’arrêter avant et de me dissimuler dans une petite cage vide et suffisamment sombre pour qu’on ne me voit pas. Il n’y avait de toute façon qu’un seul prisonnier dans tout le donjon. Je jetais quand même un œil à la serrure pour savoir si mes crochets et mes connaissances en crochetage seraient suffisantes pour ouvrir la porte dans le cas où elle se refermerait derrière moi. Le mécanisme semblait relativement simple, en quelques minutes je devrais pouvoir l’ouvrir. J’entrai donc, et une fois à l’intérieur je tendis l’oreille pour entendre la discussion du prêtre avec le fils d’Orion. Je ne pouvais pas réellement les voir, mais ce que j’entendis était plus que suffisant pour visualiser la scène.
Le prisonnier était allongé sur sa couchette, Zapar se tenait devant sa cellule à quelques pas de la grille. Ils restèrent silencieux pendant quelques instants, puis le prêtre entama la conversation ainsi : «Je n’ai pas l’intention de te torturer. » Son interlocuteur n’offrit aucune réponse, il attendait la suite car il savait qu’elle viendrait : « Mais je n’hésiterai pas à le faire si tu m’y obliges.
J’ai toujours pensé que les Anciens étaient dépourvus d’honneur, on dirait bien que j’avais raison. Ou bien as-tu déjà oublié que j’ai accepté de vous suivre pour vous laisser une chance de prouver votre valeur.
Je n’ai rien à te prouver, tu n’es rien d’autre qu’un imposteur utilisant le nom d’un dieu déchu pour paraître plus grand que tu ne l’es réellement. Tu n’as nullement l’intention de protéger Malie, tu veux l’utiliser pour gagner plus de pouvoirs.
«Plus de pouvoirs», tu ne comprends donc rien.»
Le fils d’Orion se leva et se rapprocha au maximum du prêtre, il s’arrêta à quelques centimètres des barreaux : « Est-ce que c’est vraiment ce que Malie représente à tes yeux ? Du pouvoir ?
Ne prétends pas me connaître.
SILENCE ! Je sais exactement qui tu es, Zapar. Il y a longtemps, tu vénérais le dieu Orion au point d’être prêt à tout pour rejoindre son armée. Mais lorsque tu as appris qu’il voulait sauver le monde en arrêtant la guerre, tu t’es retourné contre lui et tu l’as tué. Il aurait pu mettre un terme à cette guerre, mais tu l’en as empêché. Et maintenant, tu as trouvé la dernière Epithy encore vivante, et au lieu de la tuer tu l’as laissée entre les mains d’une démone. C’est la seule chose que je ne comprends pas : pourquoi ne pas l’avoir tuée directement ? C’est ce qu’auraient fait les Anciens, ces lâches qui craignent plus que tout des mots écrits sur un bout de papier. Il y a tellement longtemps qu’eux-mêmes ignorent d’où elle vient. Ou peut-être que tu as essayé de t’en débarrasser, mais que tu étais trop faible. Après tout, tu aurais été incapable d’abattre Orion s’il n’avait pas d’abord été affaibli par cette statue. Tu viens pour me menacer, réponds plutôt à cette question : Est-ce que tu peux faire quoique ce soit par toi-même ? »
C’était clairement une provocation, mais pas seulement. Derrière ce laïus, on pouvait percevoir la haine profonde que ressentait le fils d’Orion envers Zapar. Ou plus exactement, envers ce qu’il représentait. Le groupe des Anciens, ceux qui ont décidé de donner leur vie pour que la Prophétie ne s’accomplisse pas. Ils sont responsables pour la guerre, certes, mais ils pensent agir pour la bonne cause. Le prêtre répondit en se jetant contre les barreaux à son tour, faisant résonner un éclat de métal dans tout le cachot : «JE SUIS UN DIEU !!! Je n’ai peut-être pas d’Eglise, mais ma mission demeure. J’imagine que je dois te remercier pour cette réalisation. Jusque-là, je n’étais pas sûr de ma fonction mais maintenant aucun doute n’est possible. Je suis le gardien de la dernière Epithy. Alors quand je te dis que je vais la retrouver, que tu te décides à parler ou non, tu ferais mieux de me croire, vermine.
Jusqu’où es-tu prêt à aller pour protéger ta précieuse Prophétie ? Parce que je peux t’assurer que je donnerai tout ce que j’ai pour la briser. Peu importe que tu te mettes sur mon chemin, rien, ni personne ne m’empêchera de sauver le monde !
Sauver le monde ?! Tout ce que tu vas faire, au contraire, c’est le condamner.
Même si c’est vrai, c’est préférable à la situation actuelle. Combien de millions de personnes doivent mourir chaque jour dans cette guerre qui n’en finit pas pour que, toi et les tiens, vous ouvriez les yeux ?!
Des millions meurent pour que des milliards d’autres puissent vivre. Les guerriers qui réalisent ce sacrifice chaque jour le font en sachant pertinemment qu’ils permettent à leurs proches de survivre. Tu n’es qu’un homme, tu n’as aucun droit de remettre en cause ce système. »
Sur ces mots, Zapar quitta les lieux, ignorant les hurlements du fils d’Orion qui laissait enfin s’exprimer toute sa haine : « Assassins ! Assassins !!! » criait-il sans cesse. Et à chaque fois qu’il prononçait ce mot, je me demandais un petit peu plus s’il avait raison ou non.
Je restais là, dans ma petite cage pendant plus longtemps que je n’aurais dû. J’ignore ce que j’attendais, mais c’est lui qui arriva. Jack passa devant moi sans me remarquer, se dirigeant d’un pas assuré vers la cellule du fils d’Orion. Que pouvait-il bien lui vouloir ? Il se plaça devant la cellule et attendit avant de parler. Ils semblaient se jauger l’un l’autre, mais à quelle fin ? Le prisonnier parla le premier : « Tu sais que j’ai raison, je peux le voir dans tes yeux. Tu as vu autant de souffrance que moi, probablement même beaucoup plus. La guerre doit être arrêtée !
J’ai déjà essayé. A deux reprises j’ai voulu mettre fin à cette bataille sans fin, et à deux reprises j’ai commis plus de mal que de bien.
Tes échecs ne justifient pas que tu abandonnes, si ta mission est juste, c’est ton devoir d’essayer encore et encore jusqu’à ce que tu l’accomplisses. Peu importe ce qui se tient sur ton chemin.
Mais Malie n’est pas la solution. Elle est innocente dans cette guerre, elle ne mérite pas de mourir pour nous sauver. Crois-moi, ce serait une erreur plus terrible encore que celles que j’ai commises. »
Il y eut un silence. Après quelques instants, j’entendis les pas de Jack en train de faire demi-tour. Et pourtant, je savais que leur conversation n’était pas finie. Jack avançait tandis que dans sa cellule attendait le fils d’Orion. Lui aussi savait que le baroudeur n’en avait pas fini, pas encore. Il s’arrêta juste à côté de moi, à travers les ténèbres de la petite cage dans laquelle j’étais, je pouvais le voir sans qu’il sache que je regardais. Son regard était figé vers le sol. Il semblait triste. Sur le moment, je n’ai pas compris pourquoi, mais les évènements qui ont suivi ont permis de clarifier cet instant pour moi. Il ne réfléchissait pas, il se rappelait. Toutes les morts qu’ils avaient vu sur le champ de bataille. Le fils d’Orion avait raison, il avait vu plus de souffrance que n’importe qui dans ce château. A cause de son pouvoir, il ne pouvait pas mourir. Dans ce monde, et surtout pour un guerrier comme lui, c’est une malédiction plus qu’une bénédiction. Je le vis faire demi-tour, retourner vers la cellule et je n’avais plus aucun doute sur le fait qu’il allait nous trahir. Et j’ignore si je pouvais lui en vouloir.
De nouveau il se plaça devant les barreaux de la cage. Cette fois-ci, son interlocuteur n’attendit pas pour parler : « Tout ce que tu dis est vrai, et je sais que Malie ne mérite pas de mourir pour nous. Plus exactement, nous ne méritons pas son sacrifice. Mais tu sais comme moi qu’il n’y a pas d’autre choix. Nous devons arrêter cette guerre, quel qu’en soit le prix.
On ne ferait pas que tuer une innocente, on provoquerait également l’extinction de tout une espèce. Malie est la dernière Epithy.
Si je pouvais mourir à sa place, si mon sacrifice pouvait suffire, je le ferais sans hésiter, tout comme tu serais prêt à tout pour réparer ton erreur. Je sais que tu as permis au dragon Elrara de s’échapper il y a deux cents ans, je sais combien d’innocents il a tué. Combien d’innocents il est encore en train de tuer. Je sais que les Anciens veulent ta peau, car tu les as trahis. Mais je sais aussi que tu pensais agir pour la bonne cause, pour la meilleure cause : la vie. Et je sais aussi que tu as passé les deux cents dernières années à te racheter, du mieux que tu pouvais. Prêt à tout pour rattraper ton erreur. Jack, ta quête arrive à son terme. Aide-moi à sauver le Monde, aide-moi à sauver tous les mondes. Une fois que tout sera fini, nous chercherons ensemble Elrara pour mettre un terme à son règne de terreur. Deviens-toi aussi le fils d’Orion !
… Si j’accepte, tu dois me promettre un chose. Ceux que j’accompagnais feront tout pour nous arrêter, et je sais que l’affrontement sera inévitable. Mais quoiqu’il arrive, tu dois promettre que Lorkhan et Leonae ne mourront pas.
Cette promesse est facile pour le gamin, mais ton ami l’archère pourrait poser un plus gros problème. Si j’accepte, tu dois tout faire pour lui faire comprendre que notre quête est juste.
… Je ferais de mon mieux. »
Sur ces mots, il sortit du cachot, et moi, je restai là.
A ce stade, je ne voulais rien d’autre que sortir d’ici, mais mon corps ne répondait pas. Comme s’il savait qui approchait, avant même que je ne m’en aperçoive. Mais bien vite, mon ouïe prit le dessus et le bruit des pas se fit clair dans ma tête. Les griffes grattant le sol de pierre, d’un rythme lent. Elle voulait être entendue, elle voulait que le fils d’Orion sache qu’elle arrivait. Zelbe entra dans la prison, faisant claquer la porte derrière elle. Le choc résonna dans la salle, allant jusqu’à faire vibrer mes os. La démone avança, en passant devant la cage dans laquelle je m’étais recroquevillé, elle jeta un regard dans ma direction. Je sais qu’elle m’a vu, elle n’aurait pas pu me louper. Mais elle a choisi de m’ignorer. Au lieu de ça, elle a continué à avancer, jusqu’à se retrouver devant la cellule. Ils se firent face pendant quelques instants, de là où je me tenais, c’était comme si chaque confrontation jusque-là avait été un duel, et que celui-ci devait être le dernier. Je pouvais presque sentir la température de la pièce tomber, en fait j’ai réellement le sentiment que le donjon entier s’est refroidi. Le fils d’Orion parla le premier : « Je tiens à ce que tu saches que j’ai donné un ordre explicite à mes soldats pour qu’ils ne te tuent pas.
C’était une erreur.
Non, même si tu es contre moi, tu ne mérites pas de mourir. Tout ce que tu as fait, c’était de protéger une enfant, l’enfant la plus précieuse de l’Univers. Tout ce que je peux te reprocher, c’est d’avoir échoué.
Echoué ? C’est toi qui m’as pris Malie, c’est toi qui m’as attaqué et pourtant tu me reproches d’avoir échoué à t’en empêcher ? Quelle folie est-ce là ?
Aucune folie, rien que de l’inquiétude. Que ce serait-il passé si quelqu’un d’autre que moi était venu. Si Seph, la grande guerrière des Anciens était arrivée pour te prendre l’enfant et que tu avais échoué à la protéger. Seph aurait tué Malie sans même y réfléchir à deux fois.
Je serais morte pour la protéger !
Une fois morte, tu ne peux protéger personne. »
Il prononça cette dernière phrase d’un ton calme mais ferme. Ce n’était pas une moquerie, ni même une simple remarque. C’était un réel reproche.
C’est à cet instant que j’ai compris que le fils d’Orion ne mentait pas. A ses yeux, Malie était effectivement la personne la plus précieuse au monde. Et il n’y a rien qu’il ne ferait pas pour la protéger. Mais en même temps, il ne la protège que pour pouvoir ensuite utiliser son pouvoir ce qui causera sa mort. Zelbe partit, ne sachant quoi ajouter. Elle s’arrêta devant la cage où je me trouvais et j’en sortis. Elle ne fut pas surprise bien entendu, principalement parce qu’elle m’attendait. En revanche, je subis un choc lorsque je vis une larme perler de son œil droit. J’ignorais que les démons pouvaient pleurer. Nous sommes sortis ensemble du donjon puis nous avons rejoint l’extérieur du château. Je la suivais sans vraiment savoir ce qu’elle voulait, mais il n’y avait aucun doute dans mon esprit sur le fait qu’elle comptait me parler. De quoi, je l’ignorais. Finalement, elle s’arrêta sous un gigantesque arbre, suffisamment pour habiter une armée, et se tourna d’un coup vers moi : « Qui es-tu réellement, humain ?
Qu’est-ce que tu veux dire ? répondis-je, terrifié. »
Elle remarqua mon état de peur apparent et fit un pas en arrière pour diminuer son agressivité. Ce fut relativement efficace, et elle reprit la conversation : « Regarde où tu te trouves. Tu es dans le château de Dragonlips, l’un des plus grands tueurs de démons du clan des Purs. A cet instant précis, tu discutes avec un démon. Tu en as un autre qui squatte l’intérieur de ton esprit et un autre organisme parcourt librement ton corps au rythme des battements de ton cœur. Jamais je n’ai rencontré un être humain tel que toi. J’ai besoin de savoir pourquoi tu t’es joint à notre groupe.
… Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que ça semblait être la meilleure chose à faire.
Nous ne sommes pas un groupe de joyeux aventuriers à la poursuite d’un trésor. La bataille que nous menons a pour seul objectif la vie. Si nous échouons, c’est toute vie qui disparaîtra. Le destin a réuni dans ce château certains des plus puissants guerriers de leur Plan. Des êtres extraordinaires réunis dans un but commun. Et tu es là, au milieu. Ce n’est pas une coïncidence, j’en suis certain, mais ça ne veut pas dire que tu devrais rester.
Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Est-ce que tu veux que je parte ? Tu peux être certain que je ne me mettrai pas dans ton chemin, je peux rester sans te déranger.
Ce n’est pas ce que je crains… J’ai peur que cette aventure te coûte la vie. J’ai peur que cette aventure ne nous coûte à tous la vie.
Je doute que tu aies plus peur que moi. Mais c’est quand même quelque chose que je dois faire. C’est mon mentor qui m’a dit ça. Il m’a dit : « Lorkhan, il est important de ressentir la peur, c’est ce qui te permet de survivre. Mais parfois, il faut savoir l’utiliser pour se battre au lieu de s’en servir pour fuir. »
C’est un homme sage… Tu as le même âge qu’elle, tu sais. »
Lorsqu’elle prononça cette phrase, son regard changea. Elle n’était plus ferme comme au début de la conversation, elle n’était plus inquiète comme à la fin. Non, l’expression dans ses yeux ne pouvait se traduire que par de l’amour. L’amour qu’une mère porterait à son fils. Elle devait sentir ma surprise parce qu’elle choisit de s’en aller sans plus attendre, me laissant en plan à l’ombre de ce grand arbre.
Je restais seul avec mes pensées quelques instants, mais bien vite une voix surgit au-dessus de moi. Allongé sur une branche, Cro m’observait. Il était là depuis le début de la conversation, cela ne faisait aucun doute. Il me fit la remarque suivante : « Elle a raison tu sais ? Mais je pense que toi aussi tu as raison. Je suis comme toi, j’ai peur. Je ne suis pas un grand guerrier comme Jack ou Dragonlips. Je ne connais pas la magie comme Le ou Zapar. J’ignore ce que je fais ici, et je me demande vraiment si je ne devrais pas partir.
Pour partir où ? demandais-je. »
Le chasseur sauta de sa branche pour atterrir à côté de moi, aussitôt son regard se perdit dans le lointain. « Chez moi. Je dois retourner dans la grotte du dragon.
C’est à cause de cette relique dont parlait le Gengrim Foktor ? Celle gardée par le dragon qui apparaissait dans tes visions.
Qui apparait, corrigea Cro, il n’est jamais très loin. Si je ne vais pas vérifier rapidement, je crois que je deviendrais fou. Je vais en parler à Zapar, lui demander si je peux m’absenter. Après tout, je lui ai juré fidélité quand il m’a sauvé la vie, ce ne serait pas honorable de partir sans son autorisation.
Est-ce que tu veux que je t’accompagne ?
Pour parler au prêtre, non. Pour l’étape suivante, on verra. J’ignore pourquoi, mais je crois que je me sentirais plus en sécurité si tu es dans le coin. »
Sur ces mots, il partit vers le château. Quant à moi, je restais encore un peu en arrière, cet arbre était magnifique et ses branches grimpaient particulièrement haut. Sur un coup de tête, je décidai de grimper jusqu’au sommet.
L’escalade n’était pas simple, mais elle n’était pas non plus compliquée. Le sang de Sam’ell coulant dans le mien me rendait plus fort, plus agile et plus malin. Je trouvais les bons appuis au bon moment, si bien que très vite je fus au sommet d’où je pouvais enfin voir par-delà le château. Le décor qui s’ouvrit à moi ressemblait à un tableau. C’était une gigantesque prairie, avec des arbres posés ici et là, ajoutant de magnifiques touches de couleur. Sur la droite, coulait une rivière dont les bords étaient couverts de fleurs aux centaines de couleurs. Au milieu de tout cela, se trouvait un village aux maisons faites de bois et de paille. C’était là qu’habitaient les soldats de Dragonlips et leurs familles. En tout cas, ceux qui n’avaient pas de place dans le château en lui-même. C’était un village très ordinaire, mais dans ce décor précis, à cet instant exact, il semblait parfait. La voix de Sam’ell résonna dans ma tête, prononçant tout haut ce que je pensais tout bas : « C’est magnifique.
C’est encore plus que ça.
… Je vous ai entendu parler avec Cro. J’aimerais l’aider dans sa quête.
C’est sympa, mais pourquoi ?
J’ignore si tu t’en souviens, mais il a mentionné le nom de Chelcar. C’était un grand chasseur même à mon époque, sa légende a traversé les âges. Si cet artefact dont il parle est lié à cet homme, il doit être extrêmement important.
Mais comment peux-tu l’aider si tu restes à l’intérieur de mon corps ?
Je ne peux pas, c’est pourquoi il me faut un nouveau corps. Je pense que Le peut m’y aider. Je suis obligé de te demander d’aller la voir pour moi.
Non, c’est normal. J’y vais tout de suite.
Elle ne va pas partir, on peut rester regarder un peu plus longtemps si tu le souhaites. »
De fait, nous sommes restés encore une dizaine de minutes, regardant dans le lointain, avant que je redescende pour demander son aide à Le.
La magicienne s’était installé un bureau dans une large bibliothèque mise à sa disposition par Dragonlips, le maître des lieux. Lorsque j’entrai, elle était plongée dans un gigantesque livre, et j’aurais juré qu’elle avait caché quelque chose dans sa poche de manière précipitée. Ignorant les détails de la situation, je démarrais une conversation amicale : « Qu’est-ce que tu lis ?
Rien, as-tu besoin de quelque chose Lorkhan ? interrogea-elle sèchement.
Euh oui, pas moi réellement. C’est Sam’ell, celui qui est à l’intérieur de moi. Il a besoin d’un corps pour pouvoir sortir.
Et tu viens me voir parce que je suis propriétaire de la morgue du village ?
Euh, c’est vrai ?
Non, répondit-elle avant de se plonger de nouveau dans son livre.
…Je croyais que tu étais une puissante magicienne ? déclarai-je après quelques secondes d’hésitation.
C’est le cas, lâcha-t-elle en levant les yeux dans ma direction sans pour autant bouger sa tête.
Si c’est le cas, ne peux-tu pas créer quelque chose qui pourra servir d’enveloppe à Sam’ell ? »
L’une des premières choses que j’ai apprises dans mes bouquins de prestidigitation, lorsque j’étais encore dans mon monde, c’est la manipulation. Certes, c’était surtout pour faire des tours de mentalisme, mais ça n’empêche que je sais y faire. Le se mit à rire puis sortit de la pièce en m’invitant à la suivre. Avant ça, je jetai un œil rapide au livre qu’elle était en train de lire : « Un manuel illustré des mondes du plan Pur. »
La magicienne m’emmena dehors, plus précisément au cimetière derrière le château. Elle passa devant de nombreuses stèles marquées de divers noms sans s’arrêter. Il me fallut quelques instants pour réaliser qu’elle ne marchait pas. Elle flottait légèrement au-dessus du sol. Lorsqu’elle s’immobilisa enfin, nous étions arrivés au fond du cimetière devant des tombes anonymes. « Ce sont ceux qui sont tombés et qui ont été oubliés. Je pense qu’ils ne nous en voudront pas trop de leur donner une nouvelle vie. » Un peu perdu, j’acquiesçai. Elle esquissa un sourire et me poussa en arrière d’un geste de la main qui créa une bourrasque d’air dans ma direction. Lorsque je me trouvai à une distance qu’elle estimait convenable, elle se mit à bouger les mains de manière étrange tout en restant parfaitement silencieuse. Bien vite, des lumières de différentes couleurs apparurent, partant de ses mains, elles se dirigeaient vers le sol. Se concentrant sur un point précis, elles entraient lentement dans la terre. C’était magnifique, Le semblait danser gracieusement dans un spectacle luminescent de toute beauté. Une main décomposée jaillit du sol, créant un contraste horrible avec ses mouvements. La magicienne ne s’arrêta pas là, elle continua à bouger avec souplesse et délicatesse, ce fut bientôt un cadavre tout entier qui émergea. Mais le sort n’était toujours pas fini. Les lumières semblaient maintenant fusionner avec la masse puante, formant des organes par-dessus les os et de la peau par-dessus les organes. Quand Le s’immobilisa enfin, c’était un être humain semblable à n’importe quel autre qui se tenait debout, à cela près qu’il n’avait aucun rythme cardiaque et ne respirait pas. Sam’ell semblait satisfait, il s’adressa à moi pour une dernière requête : « Pour sortir de ton corps, je vais devoir te demander de me laisser une ouverture. » Je savais ce que ça voulait dire, même si ça ne me plaisait pas du tout. Je sortis la dague que Leonae m’avait donné, et d’un geste lent et douloureux, je m’entaillai la main. Curieusement, la douleur n’était pas si intense que ça. Même lorsque le sang vivant sortit de ma plaie. En revanche, une fois qu’il fut dehors, la douleur vint d’un coup me frapper comme un bulldozer. J’avais connu pire, mais pas de beaucoup. Je laissais échapper un cri, mais je demeurais debout. En relevant la tête, je vis le sang qui m’avait habité pendant quelques temps entrer dans ce corps nouvellement formé. Une fois que tout était rentré, il s’anima, se précipitant vers moi pour m’aider. D’un geste de la tête, je lui fis remarquer qu’il était nu. Très vite, la magicienne arrangea cela en faisant apparaitre une tunique directement autour de son corps. Quant à moi, elle prit ma main et plaça une étrange pâte sur ma plaie. La douleur s’estompa très rapidement et elle enroula un bandage au-dessus du tout. Sam’ell et moi-même, nous prîmes le temps de la remercier, tous deux pour des raisons différentes, avant de retourner au château.
Dragonlips nous retrouva à l’entrée, nous informant que Zapar voulait nous voir. Une fois tous réunis autour d’une table ronde, qui me rappela une histoire de mon Univers, le prêtre nous exposa son plan : « Le fils d’Orion sait où se trouve Malie, et à ce stade il est peut-être notre seule chance de la retrouver. Il ne parlera pas facilement, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver cette petite. En attendant, il est inutile que nous restions tous au château. Cro m’a informé qu’il devait retourner sur son monde natal pour enquêter sur cet artefact qui semblait tant intéresser Foktor. Le, j’aimerais que tu acceptes de l’accompagner pour le protéger du danger.
J’ai toujours une dette envers toi. Si c’est ainsi que tu souhaites utiliser mes services, c’est ton droit.
J’aimerais aussi accompagner le chasseur, intervint Sam’ell que personne n’avait vraiment remarqué.
C’est l’être qui se trouvait à l’intérieur de Lorkhan, je lui ai donné un corps, expliqua Le, voyant l’air étonné de Zapar.
Très bien, je n’ai aucune objection à ce que tu l’accompagnes. Lorkhan, souhaite-tu y aller également ?
Si c’est possible oui, je promets de ne déranger personne.
Leonae, tu devrais les accompagner également, ajouta Jack, tu n’es pas faite pour rester enfermée dans un château.
Ainsi soit-il, conclut Zapar : Cro, Le, Leonae, Sam’ell et Lorkhan, vous irez enquêter sur cet artefact. Soyez prudents, et ne tardez pas trop à revenir. Dès que nous saurons où est Malie, nous devrons aller la sauver. Merci de votre attention. »
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