Chapitre 12 : L'arme la plus puissante
- lorkhanponey
- 29 juil. 2017
- 16 min de lecture
Cro était un très bon chasseur. Quiconque prétendrait le contraire serait un menteur. Mais il pouvait être aussi bon qu’il le voulait à la chasse, c’était un très mauvais combattant. Dans la forêt, il pouvait placer des pièges, identifier des pistes, se cacher dans les ombres et attendre patiemment le passage de sa victime. Mais sur le champ de bataille, les arbres étaient morts, toute verdure avait disparu et les proies étaient omniprésentes. Sans parler du fait qu’elles le chassaient autant qu’il les chassait. Trop vite, il fit face à une gigantesque araignée, quelque chose qu’il n’avait jamais vu auparavant. Du moins, pas de cette taille. Il ne savait même pas comment elle attaquait. Avait-elle un dard ? Est-ce qu’elle mordait avec ses dents aiguisées ? Peut-être allait-elle l’écraser de ses pattes velues. Tout ce qu’il avait pour se défendre, c’était un arc et une petite dague qu’il avait volée à son père. Il essaya d’encocher une flèche, mais reçut un puissant coup avant même d’avoir atteint son carquois. Son arc lui échappa des mains alors qu’il roulait maladroitement jusqu’à ce qu’il rencontre un rocher qui l’arrêta net. Assommé, désorienté, il ne vit même pas l’araignée s’approcher de lui claquant les deux grosses dents sortant de sa gueule. Mais au lieu de le mordre, elle lui enfonça son dard dans le ventre, commençant à injecter son poison à l’intérieur du chasseur. Promettant ainsi une mort lente et douloureuse. Jusqu’à ce que l’araignée subisse un coup qui la fasse reculer avant qu’elle ait pu injecter tout son venin. En face d’elle se trouvait un monstre qu’elle avait appris à connaître.
« Orsel ? ! Pourquoi m’attaques-tu ? Ne reconnais-tu donc pas les membres de ton clan ? Nous autres, les monstres, devons rester ensemble si on veut pouvoir survivre dans cet univers qui nous hait.
J’ignore pourquoi, mais mon sixième sens me dit de me mettre entre toi et cet homme.
Et c’est tout ce qu’il te faut ? Ton prétendu pouvoir te parle et tu abandonnes ta famille ? Sans moi, tu serais mort depuis longtemps, n’as-tu donc aucune gratitude ?
De la gratitude je n’ai que ça. Je n’avais rien et tu m’as recueilli. Tu m’as aidé à trouver une place dans ce monde. Mais la dernière fois que j’ai été à l’encontre de mon instinct, les circonstances furent désastreuses. Et maintenant j’ai peur de tout perdre de nouveau si j’ignore mon 6e sens.
Tout perdre ? Je suis tout ce que tu as !
Alors je t’en supplie, pars ! Va trouver une autre victime. Laisse-moi m’occuper de cet humain.
Non, tu dois comprendre la place des monstres dans ce monde. »
L’araignée attaqua sans prévenir, mais elle n’avait aucune chance contre Orsel. Sa stature lui donnait une force largement supérieure et il ne lui fallut que quelques secondes pour arracher le dard de l’arachnide et lui planter dans la gueule. Le corps tomba sur le dos, les pattes recroquevillées au-dessus. Elle était morte. Orsel se retourna vers l’homme inconscient par terre, espérant qu’elle n’avait pas fait une grosse erreur. « Je viens de tuer ma seule amie pour toi. J’espère que c’était pour une très bonne raison. ».
Cro se réveilla allongé sur une table de bois. À côté de lui se trouvait un monstre qui discutait avec un étrange homme. Il portait un vêtement qui ressemblait à une robe, ce qui en soi était très étrange. « Enfin réveillé ? Vous pouvez dégager de sous mon toit maintenant. » Il fallut quelques instants au chasseur pour reprendre pleinement ses esprits. Il se trouvait dans une pièce, relativement grande. Même en enlevant l’espace occupé par les sept bibliothèques, la table et les chaises, on pouvait faire tenir une vingtaine de personnes sans être serré. Le plus étrange étant qu’il n’y avait absolument aucune porte, que ce soit sur les murs, au sol ou au plafond. « Il n’y a pas de sortie.
Il y a toujours une sortie, bien qu’il soit parfois difficile de la trouver. »
Le prêtre claqua des doigts et un portail apparut juste à côté de lui. « Ceci te mènera sur le champ de bataille, non loin de la capitale de la Nature. Je te souhaite bonne chance et espère sincèrement ne jamais te revoir.
Je ne peux pas partir aussi rapidement. Je suis Cro le chasseur, vous m’avez sauvé la vie et maintenant je dois faire quelque chose pour vous remercier. De quoi avez-vous besoin ?
De paix, quitte ma maison. »
Le chasseur baissa la tête en signe de remerciement et s’apprêta à passer le portail quand le monstre intervint : « Es-tu sûr de vouloir le laisser partir sans rien lui demander ? Il pourrait nous aider à trouver ce que tu sais.
Comment pourrait-il nous être d’une quelconque utilité ? Il ne sait même pas se battre.
C’est pour ça que je suis là, mais nous avons besoin de son sens de l’observation. Il sera sûrement capable de pister la bête jusqu’à son repaire. Zapar après tout ce temps, penses-tu réellement pouvoir laisser passer une telle opportunité ? »
Le prêtre parut réfléchir intensément pendant quelques instants, puis le portail disparut. Il se dirigea vers une de ses bibliothèques dont il sortit un livre à la couverture faite avec des écailles de dragon. Tout en feuilletant les pages, il commença à interroger Cro : « Es-tu un bon chasseur ?
Le meilleur de mon village, je suis les pas du grand Chelcar depuis que je suis enfant. Vous aviez raison tout à l’heure, je suis un très mauvais combattant. Mais je peux vous assurer qu’aucune créature ne peut m’échapper si je commence à la pister. Dites-moi ce qu’on cherche, et je vous le trouverai aussi vrai que Chelcar était grand. »
Zapar semblait intrigué par la fougue du jeune homme, il arrêta son regard sur une page bien particulière avant de poser le livre sur la table pour que tout le monde puisse le voir.
Pendant plusieurs secondes, ils se contentèrent d’observer. Il semblait évident que Cro savait de quoi il s’agissait. C’était une créature mythique censée avoir disparu depuis des siècles, éliminée par les Anciens eux-mêmes. Après lui avoir laissé suffisamment de temps pour digérer l’information initiale, le prêtre reprit la conversation : « J’imagine que tu sais de quoi il s’agit ?
Comment pourrais-je l’ignorer ? Il n’existe pas de créature plus rare, plus dangereuse et plus magnifique que celle-ci. Mais ils sont éteints, ils doivent l’être. Si quelqu’un mettait la main dessus, ce serait une catastrophe.
Pourquoi serait-ce forcément une catastrophe ? Si tu la trouvais, ne pourrais-tu pas en faire bon usage ?
Quand j’étais petit, on m’a raconté nombre de légendes sur des êtres capables de réaliser des souhaits. On m’a dit de me méfier des génies, de m’éloigner des démons et de ne jamais manquer de respect à une fée. Mais ces choses, même quand j’étais enfant on m’a appris à les tuer à vue, car leur pouvoir est trop dangereux. Ils ne peuvent accorder qu’un vœu avant de mourir, mais ils n’ont absolument aucune limitation. Leur pouvoir pourrait faire disparaître l’univers tout entier, ou ramener Necro à la vie.
Ramener Necro, ce sont là les histoires qu’on t’a racontées ? Elles sont exactes, et c’est pour ça que j’ai besoin de toi pour retrouver celle-ci. Je sais qu’elle existe, je sais qu’elle est encore en vie. Ça fait des années que je la traque pour mettre un terme à son existence avant que quelqu’un d’autre ne la trouve, mais jusque-là j’ai échoué. Si tu es un aussi bon chasseur que tu le prétends, m’aideras-tu à la retrouver ? »
Une semaine plus tard, Cro suivait la piste dans une forêt des mondes de la nature, Orsel et le prêtre le suivant de près. Le déplacement était grandement facilité par les propriétés magiques de la maison de Zapar. C’était une pièce enchantée qui avait la faculté d’ouvrir des portails dans n’importe quel plan. Mais même ainsi, la traque était particulièrement difficile. Leur proie était une experte de la dissimulation et il semblait clair qu’elle s’était déplacée dans plusieurs plans. Ce n’était qu’une théorie, jusqu’à ce qu’ils trouvent le premier passage qu’elle avait emprunté. Il se trouvait caché dans un arbre, et il y avait de grandes chances que personne ne connaisse son existence. Leur cible avait-elle des connaissances inconnues des autres mortels, ou bien était-elle aidée ? Dans tous les cas, c’était une bonne chose que Cro soit présent. Un portail végétal, en particulier dans un arbre comme celui-ci, ne peut pas être ouvert par la force. Il faut négocier avec lui. Le chasseur s’agenouilla en signe de respect et posa la paume de sa main sur l’écorce majestueuse. Avec honnêteté, il expliqua la raison de sa venue et exposa les raisons pour lesquelles il devait impérativement se voir accorder le passage. L’arbre était hostile à son idée, il avait laissé passer la femme que Cro traquait, car elle n’avait pas seulement demandé le passage, mais également la protection de la nature. Le feuillu avait promis et une grande partie de sa promesse consistait à ne pas laisser passer ceux qui la poursuivaient. Zapar commença à s’énerver, menaçant de brûler la forêt entière. Les bois commencèrent à craquer autour d’eux, le vent souffla de façon agressive et la lumière autour d’eux devint rapidement sombre et froide. Le chasseur lui-même n’appréciait aucunement les menaces du prêtre, d’autant plus qu’elles étaient inutiles. L’arbre ne s’ouvrirait pas dans tous les cas, mais il existait un rituel permettant de révéler la destination de n’importe quel portail. « Mais avant que je puisse l’accomplir, tu dois partir Zapar. Tu as énervé la forêt, et si tu restes nous serons morts avant d’avoir compris ce qui nous arrive.
Je ne meurs pas aussi facilement.
S’il-te-plait, contente-toi de partir. Je te retrouve dès que j’ai obtenu notre prochaine destination. »
Le prêtre s’était exécuté, et après avoir attendu 6 heures complètes, il était plus que content de revoir le chasseur et le monstre. Cro avait obtenu de connaître le lieu où menait le portail ainsi qu’un message de l’arbre lui-même : « Le mal se trouvant dans les racines n’atteint pas toujours les feuilles emplies de bien.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je ne suis pas sûr. La sagesse des arbres est rarement claire, mais je sais que c’est toujours une mauvaise idée de l’ignorer. »
La piste les mena ainsi sur un minuscule monde du plan de la connaissance, si petit qu’on pouvait en faire le tour en marchant dix minutes dans la même direction. Il était vide de toute vie, sinon par une statue animée par un sort de protection. Elle se plaça devant eux, annonçant qu’il devait partir ou mourir. Zapar menaça de réduire leur obstacle en tas de poussière, mais de nouveau il fut arrêté par Cro : « Ce n’est pas n’importe quelle statue, c’est un gardien. Son seul rôle est de protéger, et nul ne devrait avoir à mourir pour ça. » Une fois le prêtre calmé, il restait à négocier la traversée. Tant qu’il ne se montrait pas hostile, la discussion était encore possible. Il commença par demander, respectueusement ce que la statue gardait. De manière générale, les golems protecteurs n’ont pas de problème pour révéler ce qu’ils protègent. D’ailleurs, ils sont incapables de garder des secrets. « Je protège le passage.
Vers où ?
Vers le monde solitaire. »
Le chasseur allait continuer sa négociation quand trois puissants éclairs s’abattirent sur le gardien.
Derrière, Zapar était devenu impatient et avait lancé un de ses plus puissants sorts. Mais cela était insuffisant pour briser la pierre, et c’est Cro qui en fit les frais. Le coup qu’il reçut, semblable à un coup de massue, le projeta avec tellement de force qu’il sortit de la planète. Cet univers fonctionne très différemment du nôtre, la vie étant permise dans ce genre d’endroits par la magie uniquement. C’est elle qui rend nombre de mondes vivables, en fait c’est elle qui rend tous les mondes vivables. Mais entre une planète et l’autre, il y a toujours l’espace. Et comme pour nous, c’est incroyablement vide, et il ne fait pas bon y rester longtemps. Pendant que Orsel se battait au corps à corps avec la statue, Zapar utilisa un pouvoir qui lui donnait des ailes d’anges pour voler. Malgré la limite de temps, puisque très vite le chasseur viendrait à manquer d’air, le prêtre savait qu’il devait s’accrocher à quelque chose pour pouvoir réintégrer la bulle qui permettait la vie, et sortir du noir sidéral. Il était très pratique de pouvoir voler, mais même les oiseaux ne peuvent rien faire s’il n’y a pas d’air. Deux battements lui suffirent pour sortir de l’atmosphère avec suffisamment de vitesse pour rejoindre Cro. Restait ensuite à tirer sur la corde pour faire demi-tour avant de s’évanouir, ce qui interviendrait au bout de quinze secondes selon ses calculs. Ce fut une de ces fois où Zapar fut fort contrarié de voir qu’il avait raison. N’ayant pas anticipé le poids du chasseur par rapport à sa propre force, il ne s’était pas aperçu qu’il était tout simplement incapable de les hisser tous deux par la puissance de ses bras, ou en tout cas pas assez rapidement. Dans un dernier réflexe, avant de perdre connaissance, il utilisa son sort sur lui-même et sur l’homme pour bloquer leurs fonctions vitales.
Sur la planète, Orsel se trouvait face à un adversaire aussi puissant qu’elle, peut-être même plus. Ignorant complètement ce qu’il se passait juste au-dessus d’elle, il donnait coup sur coup pour essayer de gagner l’avantage. Habituellement, le fait qu’il change de sexe en plein combat suffisait à déstabiliser les combattants les plus coriaces, mais la statue s’en fichait complètement. Il finissait à terre trop souvent, subissant blessure après blessure, il allait perdre sans aucun doute. Du moins, jusqu’à ce qu’elle remarque que les éclairs avaient eu un effet considérable sur la statue. Son dos était fissuré, dévoilant le cœur qui lui donnait la vie. Il n’en fallut pas plus à Orsel pour inverser le cours de la bataille, sautant par-dessus son adversaire, elle enfonça ses gigantesques griffes dans le marbre animé, forçant pour agrandir le passage. Le gardien vit une opportunité, se tournant brusquement, il brisa le bras du monstre d’un coup rapide. La bête hurla de douleur, reculant, effrayée, avant de remarquer qu’elle tenait dans son autre main une gigantesque pierre. Il avait réussi à percer l’armure naturelle de la statue. S’il pouvait seulement approcher par-derrière, il pourrait remporter la victoire. Blessée comme elle l’était, il ne lui restait plus beaucoup d’options. Elle enfonça son bras encore fonctionnel dans la terre et s’en servit pour soulever tout une bande de terre, déstabilisant ainsi le gardien. Ce fut extrêmement douloureux, mais elle put attraper la pierre de vie qu’elle ciblait. La douleur fut encore plus intense une fois qu’elle l’avait dans ses mains. Étant le cœur de la statue, elle ne voulait pas sortir du tout et elle était suffisamment en vie pour le faire savoir. Similaire à une gemme, pas plus grande qu’une bague, elle brûlait comme mille soleils à travers la peau du monstre. Mais Orsel tint bon et dès qu’elle eut arraché la pierre, la statue s’effondra en poussière.
Le combat finit, la bête aurait aimé pouvoir lécher ses plaies. Malheureusement, ses deux seuls amis étaient en train de mourir dans le vide de l’espace. Prenant toutes les précautions possibles, elle tira sur la corde avec sa gueule, puisqu’aucune de ses mains n’était en état de tirer quoique ce soit. Par un quelconque miracle, Cro resta accroché à Zapar qui avait réussi à l’attraper avant de perdre connaissance, et tous deux purent rentrer dans l’atmosphère, chutant lourdement à peine étaient-ils de nouveau attirés par la gravité. J’imagine que ça pourrait paraître étrange aux scientifiques qui lisent ces lignes, je sais que moi ça ne m’a choqué, mais je sais aussi que la force gravitationnelle d’une planète dépend de nombreux facteurs, à commencer par sa taille, sa densité… Mais ici, non seulement la gravitation est la même sur tous les mondes, mais elle ne fonctionne qu’à l’intérieur des bulles de chaque planète. Si j’étais crédule, je dirais que quelqu’un veut que la vie soit possible. Pour en revenir à l’histoire, il fallut quelques temps avant que le sort lancé par le prêtre ne s’estompe et que deux corps retrouvent leur capacité de mouvements. J’ignore combien de temps exactement ils sont restés inconscients, mais c’était suffisamment long pour que les blessures d’Orsel deviennent graves. À leur réveil, c’était le monstre qui était inconscient. Une rapide analyse de la situation permit à Zapar de comprendre que son sort serait inutile. Le corps de son ami (e) devait récupérer seul et s’il ne pouvait pas… Il la ramena dans sa maison, puis décida de continuer de traquer la piste de sa cible avec l’aide du chasseur.
Derrière l’endroit où gisait la statue inanimée se trouvait effectivement un passage, un minuscule portail ouvrant sur un endroit indiscernable. Cro jeta un coup d’œil vers le prêtre. Apparemment il était plus que jamais déterminé à aller jusqu’au bout, son regard fixé sur les déformations dans l’air causées par la présence de cette porte magique. Quelque chose dans l’atmosphère indiquait sans l’ombre d’un doute que leur objectif se trouvait de l’autre côté. La dernière représentante de l’espèce la plus dangereuse de l’univers. D’un signe de tête, Zapar donna le signal et traversa le trou le premier. Rien n’aurait pu les préparera à ce qu’ils trouvèrent de l’autre côté, car le portail ouvrait sur un monde du Plan des Démons. Ils furent aussitôt attaqués par une démone. Furieuse de cette intrusion, d’un coup de griffe, elle lacéra le chasseur avant de concentrer tout son souffle sur le prêtre qui fit de son mieux pour se protéger avec sa magie. Malgré sa puissance, il subit de graves brûlures à cause desquelles il fut contraint de poser le genou à terre. Le combat aurait pu s’arrêter à cet instant, les griffes de la bête suffisamment acérées et rapides pour arracher la vie à ses deux adversaires. Mais une voix aiguë retentit : « Zelbe non ! ». Le démon s’arrêta dans son élan, jetant un regard en arrière pour identifier d’où provenait la voix.
C’était une enfant, du moins en apparence. Un seul coup d’œil dans sa direction fut suffisant pour que Zapar la reconnaisse. Il l’avait traquée pendant près de dix ans, mais jamais il ne se serait douté qu’elle était aussi jeune. Ça ne changeait rien, même si les membres de son espèce ne peuvent pas utiliser leurs dangereux pouvoirs avant d’avoir vingt ans d’existence. Par son apparence, celle-ci semblait avoir douze ans, ce qui laissait huit ans avant qu’elle soit un réel danger. C’était l’occasion ou jamais de s’en débarrasser. Le prêtre jeta un œil à ses blessures, il ne pouvait plus bouger le bras droit mais l’autre était encore fonctionnel. Cro était assommé un peu plus loin, l’enfant se dirigea dans sa direction et s’accroupit à ses côtés. « Regarde dans quel état tu l’as mis. Il avait l’air gentil en plus.
Il t’aurait tué sans même y réfléchir à deux fois.
T’en sais rien d’abord.
C’est un chasseur, et celui-ci un prêtre des Anciens. Ces monstres n’auraient pas hésité une seule seconde pour te tuer, crois-moi. »
La conversation s’arrêta ainsi, non pas parce qu’elle était finie, mais parce que l’enfant était en train de bouder. En même temps, elle faisait de son mieux pour soigner le chasseur à ses pieds.
Zapar vit sa chance. Il se leva d’un coup et d’un geste de la main, fit s’abattre la foudre sur la petite fille, choisissant de sacrifier Cro plutôt que de risquer de voir sa cible survivre. La démone au réflexe fulgurant bondit pour intercepter le sort qu’elle subit pleinement pour protéger sa jeune amie. Elle était maintenant aussi mal en point que le prêtre, ce qui témoignait de sa résistance car n’importe qui serait mort à sa place. Zelbe n’était pas n’importe qui, ça vous le savez, et quand la tranquillité de son monde solitaire avait été brisée par une petite fille apeurée et seule comme elle, la démone avait juré de la protéger coûte que coûte, quitte même à y laisser sa propre vie. Elle se releva furieuse et bondit dans la direction du prêtre, bien décidée à lui ôter la vie. Elle fut obligée de s’arrêter car la jeune fille l’avait devancée et enlaçait maintenant complètement un Zapar décontenancé. « Qu’est-ce que tu fais ? demanda Zelbe.
Je veux pas que tu le tues.
Si je le tue pas, c’est lui qui te tuera.
Je m’en fiche, je préfère encore ça que te voir tuer quelqu’un. D’abord, si tu le tues je me tue aussi. »
C’est probablement cette réflexion qui fit réaliser au prêtre qu’il avait réellement affaire à une enfant pour qui le bien et le mal étaient des concepts bien définis. Et apparemment, celle-ci penchait plus vers le bien.
Peut-être qu’elle pourrait utiliser son souhait pour une bonne cause après tout. Aussitôt, toutes les histoires qu’il avait entendues ou lues revinrent le frapper. Jamais aucun membre de la race des Epithy n’avait utilisé son souhait pour le bien. Tous avaient été corrompus et tous avaient causé d’innombrables ravages, des massacres par millions, des destructions insensées… Pendant dix ans, il l’avait traqué avec la ferme intention de débarrasser le monde de ce mal potentiel, mais maintenant qu’il était en face d’elle, maintenant qu’il l’entendait parler… Quelque chose avait changé dans son esprit, comme si un interrupteur avait été allumé. Il se mit à avoir de l’espoir dans cette enfant, espérant qu’elle puisse un jour grandir pour devenir une force du bien. Il s’écarta légèrement de l’embrassade pour établir le contact visuel avec celle qui était sa cible il y a encore trente secondes : « La démone a raison, tu sais ? Je suis venu dans l’intention de te tuer. Mais je viens juste de comprendre que j’avais tort, tu n’es aucunement celle que j’imaginais. J’espère que tu pourras me pardonner d’avoir songé à te faire du mal.
C’est vrai que t’a été très méchant. T’a même blessé Zelbe avec tes éclairs… D’ailleurs, comment tu as fait ça ?
Je suis un prêtre, est-ce que tu sais ce que c’est qu’un prêtre ?
Quelqu’un qui lance des éclairs ?
Non, un prêtre est un combattant qui voue sa vie au service d’une personne, généralement une divinité mais pas forcément. Jusque-là, j’étais un faux prêtre car je ne suivais personne d’autre que moi-même. Mais si tu me le permets, j’aimerais t’offrir mes services. »
L’enfant accepta et se présenta enfin, elle répondait au nom de Malie et accepta volontiers l’aide de Zapar. Pour Zelbe, il en était autrement. À peine remis de ses blessures, elle s’interposa entre sa seule amie et le prêtre : « Je n’ai aucune confiance en toi humain, et il est hors de question que je te laisse rester avec nous. Prends ton chasseur et part avant que je mette un terme à ta vie, que Malie le veuille ou non.
Zelbe ! C’est pas gentil. Il a dit qu’il voulait nous aider.
C’est pas grave Malie, intervint Zapar, ton amie a raison de se méfier de moi. Moi-même j’ignore pourquoi j’ai décidé de t’aider. Voilà ce que je te propose, commença-t-il en se tournant vers la démone, je vais partir de ce monde pour ne jamais revenir. Mais si jamais vous avez besoin de moi, je te donne ce morceau de ma maison pour que tu puisses toujours me retrouver. Est-ce que ça te convient ?
Deux heures plus tard, il était de retour sur le monde dont il était parti, occupé à soigner le chasseur dont les blessures présentaient un danger important d’infection. Du moins jusqu’à ce que le prêtre l’asperge d’alcool de fée, une boisson aussi bonne qu’elle est efficace pour désinfecter les plaies. Il finit par se remettre, tout comme Orsel qui fut fort surprise d’apprendre que Zapar n’avait pas été jusqu’au bout de son entreprise : « Je sais que je ne suis pas un homme bon, il n’y avait aucune raison pour que j’épargne cette Epithy, étant donné le danger qu’elle représente pour la prophétie. Mais quand je me suis retrouvé en face d’elle… Quand elle m’a serré dans ses bras, comme si j’étais son ami…
Est-ce que tu t’es fait charmer par une enfant ?
Non, j’ai juste cru pendant une simple seconde qu’elle pourrait devenir une force du Bien. Et c’est tout ce qu’il m’a fallu pour abandonner. Après tout, je ne suis qu’un humain. C’est tout à fait normal que je souffre de la même lâcheté que mes congénères.
Un humain ? Et moi qui croyais que tu étais un dieu. »
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