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Chapitre six : Celui qui a hérité

  • Photo du rédacteur: lorkhanponey
    lorkhanponey
  • 17 juin 2017
  • 10 min de lecture

J’espère que vous vous rappelez de l’histoire de Zelbe et plus précisément du petit garçon qu’elle a laissé en vie. Parce que ce récit commence au moment où l’enfant a rouvert les yeux pour constater qu’il était seul dans sa maison. C’est difficile de savoir exactement ce qu’il a ressenti en se levant de son lit, puis en avançant d’un pas lent dans le couloir vers la chambre de ses parents. Quelles pensées lui ont traversé l’esprit quand il a vu ce qui était arrivé à son père, puis à sa mère. Une vision qui aurait rendu n’importe qui fou. Des corps déchiquetés, des expressions d’horreur figés sur les visages, les murs repeints en rouge… Il fut bien vite récupéré par les guerriers du Clan des Purs qui avaient fait fuir les démons, mais il en avait déjà beaucoup trop vu. Chacun sait que cette nuit l’a changé. Que c’est à cause de ce moment qu’il est devenu l’être qu’il est aujourd’hui. Pourtant, ce n’est pas son histoire que je veux raconter. Pas vraiment. C’est celle de son fils, Dragonlips.

Peu après la naissance de Dragonlips, sa mère est morte des mains d’un démon. Car voyez-vous, son père, nommé Dragonclaws, avait grandi pour devenir l’un des plus grands tueurs de démons du Plan. Il s’était parfaitement intégré dans le Clan des Purs qu’il avait rejoint. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi. A ce stade, vous savez, j’espère, qu’il y avait dix Plans, dont un a été détruit, ce qui fait qu’il n’en reste que neuf. Parmi ces groupes, quatre ont un investissement plus important que les autres dans la Grande Guerre. Le Clan des Monstres Fatigués De Devoir Se Cacher Dans Les Ténèbres, le Clan des Démons Qui Ne Recherchent Que La Destruction Et La Mort, le clan des Justes Dont Je Parlerai Plus Tard et le clan des Purs. Ce dernier voue une haine profonde et égale aux monstres et aux démons, car les uns comme les autres se sont rendus coupables de destruction à des échelles titanesques. Contrairement aux Justes qui obéissent à un code très précis, les Purs ne suivent que leur cœur et leur instinct. Ce qui en fait un clan légèrement chaotique, manquant d’organisation mais néanmoins extraordinairement puissant. Et dedans, Dragonclaws mène à lui seul une armée dont le seul objectif est d’anéantir systématiquement les démons, tâche des plus nobles et qui exige de nombreux sacrifices. Et malheureusement, son fils fut le premier à souffrir de cette guerre obsessionnelle.

Depuis tout petit, il fut élevé pour devenir le plus grand guerrier du clan. Sachez que dans cet univers, il n’est pas rare d’utiliser le fouet sur les enfants qui se comportent mal et ce, à n’importe quel âge. Dragonlips, lui, était fouetté chaque soir et chaque matin, peu importait qu’il ait fait quelque chose de réprimandable ou pas. A mesure qu’il grandissait, les coups étaient plus forts, dans le but de le renforcer, disait son père. Et, bien que je désapprouve cette méthode, il faut reconnaître qu’elle fut efficace. Passé l’âge de dix ans, il ne sentait déjà plus la douleur infligée par le châtiment, son corps ne saignait même plus sous les coups. Mais son entrainement ne s’arrêtait pas là. Je ne peux pas vous faire le récit de tout ce qu’il a subi, je doute que quiconque puisse supporter toute l’histoire. Je ne peux que vous mettre dans la bonne direction, si vous osez imaginez une enfance privée de lit ou de tout autre type de confort, privée d’amour et de tendresse. Une enfance qui aurait été plus agréable si elle s’était passée dans les plus profondes entrailles des Enfers. Rien que de la souffrance et du malheur, sans cesse renouvelés, telle la punition de Prométhée. Je n’ai jamais rencontré quiconque ayant eu une enfance plus misérable que celle de Dragonlips. Et le pire, c’est l’amour qu’il vouait à son père malgré tout ce qu’il lui infligeait. Persuadé que la douleur était dans son propre intérêt, persuadé qu’il était aimé par son tourmenteur. En réalité, Dragonclaws n’avait aucun autre désir que de forger une arme qu’il pourrait utiliser et sacrifier au moment le plus opportun.

Ainsi, notre héros devint un puissant guerrier et fut engagé à l’âge de 20 ans dans l’armée menée par son père. Lors de son premier combat, il fit face seul à un puissant démon. Il subit son feu, sans broncher sous la douleur, alors que son armure fondait. Il subit une attaque, puis deux. Maintenant privé de sa protection qui fumait encore sur le sol, les griffes de la bête lui transperçaient la peau. Mais rien ne l’arrêtait. D’un coup puissant, il fit tomber le bras droit du démon. Celui-ci poussa un hurlement qui envoya des ultrasons à des kilomètres à la ronde. Mais même les oreilles du guerrier avaient été entrainées à résister à quelques douleurs qui puissent leur être infligées. Alors sans même ralentir, il planta son épée dans la gorge de la bête, mettant fin au cri ainsi qu’à la vie abjecte de cet être dénué d’humanité. Une fois le cadavre à terre, Dragonlips se tourna vers son père pour voir s’il était fier. Mais il n’était plus là. Il n’avait pas attendu de voir si son fils allait triompher, préférant profiter de la distraction créée pour se rendre au château qu’ils venaient de sauver et récolter toutes les félicitations.

Dire que Dragonclaws n’est pas quelqu’un de très sympathique est un euphémisme aussi absurde que de dire qu’une pierre est plus dure qu’une goutte d’eau. Au fil des années, son objectif était passé de « tuer tous les démons » à « faire savoir à tout le monde qu’il était le meilleur chasseur de démons de tous les Plans de la Guerre. » Alors bien sûr, quand le puissant Jack a commencé à faire parler de lui, ça n’a pas plu à notre « père du mois ». Le susnommé Jack était un genre de baroudeur, pas réellement un guerrier mais néanmoins un combattant très puissant. Dragonlips fut désigné pour le provoquer en duel et le tuer, lui faisant croire qu’il s’agissait d’un démon déguisé. Bien sûr, le jeune guerrier n’était pas stupide, il se doutait bien que Jack n’était pas une bête de l’enfer. Mais il était prêt à faire tout ce que son père lui disait, alors il accepta d’éliminer le baroudeur. Sûr de vaincre, et désireux d’impressionner Dragonclaws, notre héros prit la décision de défier Jack en duel sans aucune arme ni armure. Le noble baroudeur accepta, un sourire sur son visage dirigé vers ce jeune homme si sûr de lui. Dragonlips ne perdit pas une seconde, décochant son plus puissant crochet du droit. Son adversaire n’eut qu’un pas à faire sur le côté pour esquiver et frapper fort sans laisser une seule chance de bloquer. Notre ami se retrouva à terre, paralysé. Car si son père avait renforcé son corps à coup de fouet, il existait toujours des points faibles cachées sous la peau et qui pouvaient être exploités par un combattant suffisamment aguerri. Ce que Jack était plus que tout autre chose. C’est ainsi que notre héros déçut son père.

Dragonclaws était furieux, il enferma son fils dans une cellule conçue exprès pour lui. De chacun des quatre murs sortaient des pics acérés, et bien sûr, le plafond et le sol étaient également équipés de dents métalliques. Il fallait vraiment être taré pour crée une telle pièce, mais il fallait être particulièrement doué pour la construire sans se blesser. Dragonlips resta à l’intérieur pendant une semaine sans pause, sans manger, ni boire. Il se contentait d’attendre. Je sais que ça peut paraître étrange vu la situation dans laquelle il se trouvait, mais il passa une très bonne semaine. Laissez-moi vous expliquer comment c’est possible. Je vous ai déjà dit que tous les êtres non magiques naissent avec un sort particulier, un pouvoir qu’ils peuvent utiliser de manière naturelle. C’est ce qui représente leur connexion à la source. Eh bien, notre ami étant humain, il dispose d’une capacité de ce genre. Il s’agit d’une faculté empathique. Proche de la lecture d’esprit, tout en étant très différent. Son pouvoir lui permet de ressentir les émotions des personnes se trouvant autour de lui, à un tel point que c’est comme si c’était ses propres émotions. Par exemple, s’il utilise ce pouvoir sur quelqu’un d’heureux, il sera heureux lui aussi. Malheureusement, son père trouvant ce don inutile au combat, il interdisait à son fils de le développer. En fait, les moments où il se trouvait dans une cellule seul, étaient les seuls moments où il pouvait s’entrainer. Et durant cette semaine en particulier, il ressentit l’émotion d’une jeune fille de son âge.

Il s’agissait d’une servante du château vivant probablement la meilleure semaine de sa vie. Elle avait appris il y a peu qu’elle allait pouvoir se marier avec un soldat de l’Armée des Purs, plus précisément de l’armée de Dragonclaws. Son bonheur et son amour étaient si forts que Dragonlips avait l’impression d’être à ses côtés, sinon dans sa peau. Le sentiment était tel qu’il ne se rendit même pas compte qu’il était enfermé dans une cellule dont les murs perçaient lentement sa chair. Concrètement, c’était comme s’il n’avait jamais été enfermé à l’intérieur. Quand son père se décida à lui ouvrir, il était presque triste de comprendre qu’il n’aurait plus autant de temps pour se connecter à la jeune fille. Alors il prit la décision d’aller la voir, ne se rendant pas compte que Dragonclaws l’observait d’un œil réprobateur. Pourtant, en apparence, son fils allait simplement adresser ses félicitations à une future mariée. Mais il voyait ça comme un geste affectueux, quelque chose qu’une arme devrait être incapable de faire. Alors il décida d’agir de la meilleure manière qu’il connaissait. Il accusa la jeune fille d’être une démone déguisée et la condamna à mort. Il y a une raison pour laquelle tout le monde l’a cru, mais je ne souhaite pas interrompre la chaîne d’évènements qu’il vient de déclencher pour vous l’expliquer. Très vite, l’accusée fut jetée dans le donjon même dont venait de sortir Dragonlips. Sauf que pour elle, c’était une vraie torture. Et pour lui aussi, car son pouvoir le forçait à ressentir pleinement la détresse de la fille. Il supplia son père de la libérer, il tomba à genoux alors qu’il se trouvait submergé par des émotions qu’il n’avait plus ressenties depuis son enfance : la tristesse, le désespoir, le malheur, la peur, la souffrance. Toutes ces émotions lui avaient été retirées par l’entrainement de son père, et de les voir ressurgir, Dragonclaws était furieux.

Il prit la décision d’accéder à la requête de son fils, il fit sortir la fille ensanglantée du cachot aux murs piquants et la traina de force dans la cour des exécutions. Là, il ordonna à un de ses soldats de la maintenir en place pendant qu’un autre prenait une épée pour lui couper la tête une bonne fois pour toutes. Comble de la cruauté, le soldat chargé de la besogne était celui qui était promis à devenir son mari. Mais devant l’autorité de son chef, le plus grand tueur de démons du Plan, il n’hésita pas une seule seconde. Voyant son futur époux arriver d’un pas décidé vers elle, épée à la main, la jeune fille s’arrêta de pleurer. Non pas parce que la tristesse était partie, mais parce que son désespoir était tellement fort que son cerveau ne savait plus comment réagir. Alors elle restait là, la bouche à moitié ouverte, observant la lame qui approchait. Dragonlips ressentait pleinement la souffrance de la condamnée, mais ce n’était pas tout. Il ressentait la souffrance de son promis qui s’apprêtait à tuer l’amour de sa vie. Il ressentait également la peur de tout ceux qui regardaient, craignant de voir mourir la jeune fille la plus charmante du village. Et au milieu de tout ce désespoir, il ressentait le bonheur de son père, qui voyait très bien que son fils allait enfin être brisé. Le souffle de toute l’assistance s’arrêta en même temps. Le bourreau venait de lever sa lame, prêt à faire son office. D’un coup rapide, la lame traversa la poitrine. Le corps de Dragonclaws s’effondra sur le sol, sans vie. Derrière lui, Dragonlips tenait toujours l’épée ensanglantée. Il venait de tuer son père.

Aussitôt, le bourreau lâcha son épée et embrassa sa future femme, suppliant un médecin de venir l’aider. Aussitôt, la foule entra en panique. Tous essayaient d’aider la jeune fille blessée, alors qu’un instant plus tôt, ils étaient résignés à la regarder mourir. Maintenant ils étaient prêts à tout pour qu’elle soit soignée. Dragonlips attendait. Il venait de tuer le général de l’armée, à n’en pas douter, il allait être condamnée à mort à son tour. Ou peut-être allait-il être exécuté immédiatement ? Il n’en fut rien. Car lorsque le corps de Dragonclaws toucha le sol, sans vie, le village entier fut libéré du sort qui lui avait été lancé. Je vous l’ai dit, tous les êtres non-magiques ont un pouvoir particulier. C’était bien sûr le cas du plus grand tueur de démons du Plan. Sa capacité lui permettait de convaincre n’importe qui à agir comme il le voulait. En fait, ça les forçait à ressentir une émotion particulière à son égard. L’émotion n’était pas réelle, mais elle allait se mettre par-dessus l’émotion originale. C’est à cause de ce pouvoir que tout le monde lui obéissait, que tout le monde le regardait comme un grand tueur de démon alors qu’il était un très mauvais guerrier, et surtout, c’est pour ça que son fils l’aimait malgré tout ce qu’il lui avait fait. Du moins, c’est ce qu’il pensait. Parce que même après que le sort fut levé, Dragonlips ressentait toujours un amour réel pour son père. Quelque chose que personne n’aurait pu expliquer. Pas même lui.

D’ailleurs, je lui ai demandé lorsqu’il m’a raconté son histoire. Il m’a dit que c’était peut-être parce qu’il ressentait les vrais sentiments de son père. Mais il refusa de m’expliquer ce qu’ils étaient. Toujours est-il qu’une fois le tyran mort, notre héros prit la tête de l’armée à contre-cœur. Il se trouvait trop jeune, manquant d’expérience. Mais personne d’autre ne souhaitait reprendre le poste après Dragonclaws, et tout le monde était prêt à le suivre, lui. Et ils avaient raison, ce fut un grand leader. Non pas parce qu’il était fort, pas même parce que c’était un grand stratège. Non, c’est parce qu’il ressentait les sentiments de ses soldats. Et grâce à ce don, il savait toujours comment leur venir en aide. Qui plus est, au combat il se trouvait toujours à l’avant, prêt à mourir pour protéger ses hommes. J’ai eu l’honneur de combattre à ses côtés, et laissez-moi vous dire que je serai mort à de nombreuses reprises sans son aide précieuse. C’est probablement le premier dont je vous parle qui ressemble réellement à un héros. Mais ne lui répétez pas ça. La vérité, c’est qu’il regrette toujours d’avoir dû tuer son père. Et tout ce qu’il a fait depuis, c’est dans l’espoir de se racheter de cet acte.


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