Le cadavre dans le grenier
- lorkhanponey
- 10 avr. 2017
- 5 min de lecture
J’avais 12 ans quand je vis mon premier cadavre. Jean l’a trouvé en premier, puis il a prévenu Bastien, qui m’a prévenu. On jouait ensemble dans la rue devant chez moi, on se faisait un foot. Jean avait shooté le ballon dans le jardin du vieux Jacquot, du coup c’était à lui d’aller le chercher. Le problème c’est que mon voisin n’avait pas la réputation d’être quelqu’un d’agréable, c’était même plutôt le contraire. Peut-être parce qu’il ne recevait jamais de visite, ou parce qu’il ne parlait jamais, ou peut-être était-ce parce qu’on n’avait jamais eu de contacts avec lui, sauf quand il nous observait par la fenêtre. Chose que je le voyais souvent faire à travers ses rideaux, probablement à cause du fait que sa chambre donnait sur la mienne. En tout cas, ce jour-là Jean avait décidé d’entrer dans le jardin par la porte de derrière toujours fermée mais qui pouvait être escaladée facilement. Il localisa rapidement le ballon, mais alors qu’il s’apprêtait à partir, il entendit un bruit lourd provenant de la maison. Effrayé, il décida de partir, laissant derrière lui l’objet pour lequel il était venu à la base.
Du coup, lorsqu’il revint je lui demandais pourquoi il n’avait pas accompli sa mission en ramenant mon cadeau d’anniversaire que j’avais reçu la semaine précédente. Il chercha à se justifier, mais son explication n’était pas suffisante, il était hors de question que j’abandonne mon ballon. Je forçais donc mes amis à passer par la porte d’entrée avec moi. Pour la première fois, je sonnais à la porte de mon voisin. Pas de réponse. Je sonnais une seconde fois. Toujours rien. Cette fois, Bastien frappa fort sur le cadran en bois de la porte pour faire plus de bruit. Toujours rien. “Il est peut-être aux toilettes.” Suggérai-je. Jean paraissait inquiet. “J’ai entendu un bruit tout à l’heure, il s’est peut-être blessé.” Je sonnais de nouveau. Bastien s’impatienta : “Bon, on récupère ton ballon et on s’en va.” J’étais d’accord, mais pas Jean. “Faites ce que vous voulez, moi je vais voir.” Et il entrait dans la maison. Je le suivis aussitôt, Bastien derrière moi : “Regardez la lumière est allumée dans la cuisine.” Un placard était ouvert en grand, dévoilant une collection de conserves composée principalement de raviolis. “Venez voir !” Dans la salle à manger, une assiette était remplie de nourritures. J’ignore de quoi il s’agissait car c’était complètement pourri. Par terre, une bouteille de whiskey renversée s’était à moitié déversée sur le tapis. Mais le vieux n’était pas là.
Jean poussa les investigations au premier étage. Plusieurs portes étaient fermées, la plupart avaient encore la clé sur la serrure, sauf une. La seule porte ouverte donnait sur la salle de bain, le robinet laissait couler un petit filet d’eau. Je le fermais ; par terre, une boîte de médicaments vide semblait avoir été jetée là. Les portes suivantes furent testées les unes après les autres. Des chambres vides. L’une d’elles donnaient sur ma maison. A côté de la fenêtre située juste en face de la mienne, il y avait un bureau avec des jumelles, un appareil photo et un journal avec un crayon ouvert posé au milieu. “Tu crois qu’il prend des photos de toi ?” Lança Bastien. “Dégueu, pourquoi il ferait ça ?” Mais le doute était en moi. Je saisis l’appareil pour l’allumer et vérifier par moi-même. Bastien avait vu juste, il y avait des photos de moi là-dessus. Prises par cette fenêtre. Mais pourquoi ? Est-ce que ce gars était un pervers ? Les photos étaient prises à différents moments de la journée. Les plus récentes étaient généralement floues, mais les anciennes plus nettes me montraient clairement en train de jouer dans le jardin en été comme en hiver. Dans d’autres, j’étais dans ma chambre. Parfois, j’étais la seule personne sur la photo, mais souvent j’étais avec des amis ou de la famille. Il y’en avait au moins 10 sur mon anniversaire. “Venez-voir !” Je lâchais l’appareil sur le bureau pour rejoindre Jean.
Il se tenait devant la porte sans clé. “Je crois que toutes les portes ont la même serrure.” Pour illustrer ses propos, il prit une clé sur une des autres portes et l’enfonça dans la serrure. On entendit le bruit de quelque chose de métallique qui tombait de l’autre côté. Jean tourna la clé, et la porte s’ouvrit sur un escalier. Par terre, il trouva la clé qui venait juste de tomber. Elle était à l’intérieur, donc le vieux se trouvait forcément en haut. “Eh, il y’a ton nom là-dessus.” La tension était telle que je n’étais que trop heureux de m’éloigner pour aller voir Bastien dans la chambre. Il me tendit le journal qui se trouvait sur la table, c’était le journal intime du vieux. Le passage qu’il me montrait avait été écrit le jour de mon anniversaire il y’a une semaine : “Je viens d’avoir 12 ans aujourd’hui, mes parents m’ont organisé une fête avec tous mes amis. J’ai reçu un nouveau ballon, je vais pouvoir y jouer avec tous mes amis. Je suis tellement heureux d’avoir tant d’amis. Comme ça je ne suis pas seul. Je donnerais n’importe quoi pour ne pas être seul.” Une larme était venue faire couler l’encre sur les derniers mots. Jean appela Bastien pendant que je continuais à lire. Je tournais les pages, chaque passage racontait ma vie comme si je l’avais écrite. Sauf le dernier : “Je n’arrive plus à prétendre. J’ai peut-être eu sa vie à une époque, mais plus maintenant. Tous ceux que j’aimais sont morts ou m’ont quitté. Et maintenant, c’est mon tour. Quant à lui, j’espère qu’il est heureux. J’espère qu’il est heureux.” La page semblait avoir été complètement trempée puis avoir séché.
Bastien déboula dans la chambre “Viens vite.” L’escalier menait au grenier. Une faible ampoule éclairait de sa lumière les souvenirs de toute une vie rangée dans des cartons. Et il était là. Par terre. La peau blanche. Les yeux grands ouverts semblaient nous fixer. La corde cassée était toujours serrée autour de son cou et le tabouret par terre ne laissait que peu de doutes. Il s’était pendu. Probablement il y’a quelques jours. La corde avait fini par céder sous son poids au moment où Jean était dans le jardin. C’est là que je compris, Jacquot n’était pas grincheux. Ce n’était pas un pervers et encore moins un fou. Jacquot était un vieil homme seul, à qui la mort avait tout pris. Est-ce grâce à moi qu’il avait tenu si longtemps ? En projetant sa propre vie sur la mienne. Ou bien est-ce que je l’avais tué ? En lui montrant ce qu’il n’aurait plus jamais. En le voyant allongé comme ça, son pantalon souillé comme s'il s’était pissé dessus. Je pris peur. Cet homme avait un jour été comme moi. Alors est-ce que j’étais destiné à devenir comme lui ?
Comments