Comment j'ai changé la vie d'un de mes élèves
- lorkhanponey
- 27 mars 2017
- 3 min de lecture
Il n’avait absolument aucune chance. Pour son âge, il était particulièrement petit. Ne faisant pratiquement jamais de sport, il n’était pas assez fort pour se défendre. Pourtant il n’était pas gros, il ne souffrait d’aucuns handicaps physiques ou mental. D’ailleurs il était toujours en parfaite santé. Si bien que je me demandais : est-ce qu’il se faisait harceler parce qu’il n’était pas sportif, ou bien le problème était-il inverse ? Il était élève au sein de l’établissement où j’enseignais. J’ai été son professeur pendant 1 an. Très rapidement j’ai compris son problème mais il m‘a fallu bien trop de temps pour en réaliser la gravité.
Avant de continuer, je dois vous redire que ce jeune garçon n’avait aucune tare physique hormis sa taille. Sans vouloir dépasser mes limites, j’irai jusqu’à dire qu’il était mignon. Je sais que beaucoup d’élèves particulièrement doué pour obtenir de bonnes notes, des “intellos” comme ils sont souvent appelés, sont la cible de harcèlement de la part des sportifs. Mais lui n’était pas plus intelligent que d’autres. Je crois que son talent, moi seul le connaissait. Il écrivait des histoires comme personne avant lui. Lorsqu’il déposait de l’encre sur un papier, il devenait honnête. A un point presque involontaire. D’ordinaire timide, il s’ouvrait complètement dans ses histoires. C’est pour ça que je l’ai encouragé au maximum, et il a accepté de partager son talent avec moi. C’est comme ça que j’ai su.
Sa vie était dure. Bien plus dure que tout ce que j’aurais pu imaginer. Après s’être fait harcelé presque toute la journée à l’école, il rentrait chez lui, dans un foyer brisé. Depuis la mort de son grand-frère Julien, sa mère était partie. Il était resté seul avec son père qui semblait le détester, profitant de chaque occasion pour le réprimander, le laissant seul dès qu’il avait une excuse pour partir. Dans ses propres mots : “depuis la mort de Julien, mon père n’a plus jamais souri.” Comment ai-je pu être si stupide ? Trop longtemps, j’ai cru que ce n’était que des histoires. Jusqu’à ce jour où il ne vint pas en cours. Le père n’ayant répondu à aucun des appels, je me portais volontaire pour aller voir sur place. Une fois arrivé à la maison, la réalité de la situation me frappa pleinement. Son père, aux parfums alcoolisés, ignorait où il se trouvait. C’était même plus que ça, il s’en fichait complètement. Heureusement, son fils n’avait pas besoin de son aide. Pendant tout ce temps, il s’était débrouillé seul. Mais c’était fini, ce gosse n’avait que 12 ans, il ne méritait pas une vie aussi dure. Je n’avais qu’à le trouver pour pouvoir l’aider.
Et justement, il m’avait dit où il était. A travers les descriptions qu’il faisait de Julien. Pas comme un frère, plus comme un dieu qui le protégeait de son père alcoolique. Un modèle, un ange bienveillant. Il disait souvent dans ses histoires que Julien l’appelait, qu’il voulait le voir. Il ne pouvait être qu’à un endroit : le cimetière. Je le trouvais devant la tombe de son grand frère, pleurant. Ça vous paraîtra peut-être froid, mais à cet instant précis, je choisis de ne pas lui parler. A la place, je lui écrivis une lettre. Lui promettant que je ferais tout pour l’aider, pour le protéger. Cette lettre, je la signais de mon nom, Julien. Quand il vit ça, il sourit et me prit dans ses bras. Plus tard, j’eus une longue discussion avec son père à la fin de laquelle je lui recommandais un ami psychiatre. Le soir même, il tomba en larmes devant son fils, lui demandant d’être encore un peu patient, lui promettant qu’il irait mieux. S’excusant. Les séances l’aidèrent beaucoup surtout quand sa femme ayant enfin fait son deuil, revint. A l’école aussi la situation s’améliora grandement. Apparemment, lorsqu’il avait manqué cette journée, une rumeur s’était répandue selon laquelle il s’était suicidé. Les sportifs ont eu peur d’avoir été trop loin et depuis ils sont extrêmement sympathiques avec lui. Je continuais de à le suivre de loin pendant le reste de ses années de collège. Sans surprise, il obtint le brevet avec la mention Bien.
J’ignore ce qu’il est devenu depuis, mais j’ai reçu une lettre de lui il n’y a pas longtemps. C’était une histoire intitulée : “merci”. L’histoire d’un enfant maudit, dont l’ange gardien était décédé. Un enfant accablé de tous les malheurs, et l’histoire d’un vieux magicien qui aurait dû l’ignorer, mais qui a choisi de l’aider. Transformant ses démons en anges. J’espère qu’il est heureux. Pour ma part, je suis heureux d’avoir eu un impact positif sur la vie d’au moins un de mes élèves. Et c’est suffisant pour me rendre heureux.
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